Quelques aspects de la mise en échec du droit de repentir
[C. com. art. L. 145-58].
INTRODUCTION
Vous serez certainement intéressé(e) par
ce sujet pratique et récurrent. L’enjeu de la solution pour les
bailleurs : ne pas régler l’indemnité d’éviction dont ils estiment le
montant trop élevé, tout en acceptant de régler les frais d’instance
(conséquence et non condition de validité du droit de repentir[1]).
L’origine de mon attrait pour les
baux commerciaux
C’est au travers d’un dossier de congé
sans renouvellement portant refus d’indemnité d’éviction, que j’ai fait mes
premières armes sur le terrain des baux commerciaux : 5ème
chambre du TGI DE CRETEIL, 10/02/1997 Sté BOEHNLEN c/ MME MABILLE RG 3622/95.
Après avoir combattu pour obtenir
le versement de l’indemnité d’éviction, il me fallut faire également abolir le
repentir signifié par la bailleresse, dans un contexte où le déménagement
des locataires n’était pas totalement terminé.
*
* *
Le sujet que je souhaite aborder, précisément,
vous l’aurez compris, est « le sort du droit de repentir du bailleur,
lorsqu’au moment de l’exercice de ce droit, le locataire, qui s’est vu refuser
le renouvellement de son bail n’exerce plus dans les lieux, ayant entamé un
processus irrémédiable de cessation d’activité, alors qu’il les occupe encore
partiellement, tout en n’ayant pas rendu les clefs ».
Pour vous permettre de faire votre propre
analyse, j’ai passé en revue un nombre significatif de décisions, qui vont tantôt
dans le sens du locataire, donc du rejet de la validation du droit de repentir,
tantôt dans le sens du bailleur.
Pour parler sans détour, les juges du fond
seraient certainement dans la reproduction de « ma » décision de 1998
(cf. infra arrêt de la cour d’appel de Paris, du 6 novembre), tandis que la
Cour de cassation – si elle réitérait sa jurisprudence de 2002-
« me » retoquerait, aux motifs qu’il y aurait des marchandises
non encore enlevées à l’intérieur de la boutique et que les clefs ne seraient
pas effectivement, restituées au moment du repentir.
De manière classique, je rappellerai le
texte de loi, exposerai les cas dans la partie centrale et irai en conclusion,
explorer rapidement les conseils des uns et des autres, aimant rassembler ce
qui est épars !
*
* *
première
partie
Rappelons dans un premier temps la loi et
le régime qu’elle instaure.
L’article L.145-58 du code de commerce
dispose :
« Le propriétaire peut, jusqu'à
l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la
décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de
l'indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de
consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord,
sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce
droit ne peut être exercé qu'autant que le locataire est encore dans les lieux
et n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa
réinstallation. »
D’où la question, « à partir de quand
n’est-on plus dans les lieux ? » On pourrait aussi et peut-être
serait-ce plus juste, se demander « jusqu’à quand le locataire peut-il
être considéré encore dans les lieux? ». Et donc, à l’extrême on peut
poser la question : jusqu’à quand peut-on être considéré comme locataire
puisque précisément, le bailleur décide de re-donner irrévocablement cette
qualité au preneur ?
Les causes
alternatives de la mise en échec au droit de repentir.
Dès lors que l’une ou l’autre des
situations est avérée, le départ des lieux d’une part et la location ou l’achat
d’un bien immobilier pour se réinstaller, d’autre part, la notification du
repentir postérieurement à l’une d’entre elles, est tardive.
C’est ce que l’on appelle le caractère
alternatif des situations décrites dans cet article L. 145-58 qui est adopté
constamment par la Cour de cassation.
Le départ et l’achat ou la location d’un bien immobilier par le locataire ne
s’additionnent pas pour paralyser le droit de repentir que le bailleur voudrait
voir s’appliquer.
Quels sont les critères factuels
retenus pour voir juger que le locataire n’est plus dans les lieux, permettant
de faire échec au droit de repentir ?
Il y a le critère classique du départ des
lieux, clair et net, pour s’installer ailleurs ou cesser son activité.
Les locaux sont vides de marchandises, quelques meubles peuvent y être restés,
les clefs ont été restituées, fut-ce avant la date d’effet du congé.
A fortiori le droit de repentir ne peut-il plus être exercé, lorsque stocks et
matériel démontable ont été enlevés, qu’il n’existe plus d’activité dans le
magasin, que les clefs sont rendues et acceptées par le bailleur, que la
locataire a résilié son abonnement d’eau et d’électricité, que le bailleur a
repris « pleine possession des lieux », que la locataire a licencié
son personnel etc.
Cependant, il existe des situations
moins tranchées.
Des marchandises ou du mobilier ont pu ne
pas avoir été déménagés, les clefs ne pas avoir été restituées, alors que pour
autant, l’activité avait véritablement cessé.
La Cour de Cassation et les juges du fond
admettent que le droit de repentir ne peut plus être exercé dès lors que des
démarches irréversibles aux fins de faire cesser l’activité commerciale ont
abouti, ont été concrétisées.
Bien évidemment, vous l’avez
compris, c’est cette notion de « démarches irréversibles » qui est
sujette à interrogation. Quelle étendue lui ont donné les juges du fond et la
Cour de cassation ?
La définition de la notion de
démarches irréversibles n’est pas une question centrale, car nous savons
qu’elle sert à pallier, à neutraliser, une présence matérielle, que l’on
pourrait qualifier de résiduelle. C’est donc bien l’étendue de ces
démarches effectives, ou pourrait-on dire aussi leur « quantité », à
partir desquelles la présence matérielle du locataire dans les lieux rend
inefficace le droit de repentir du bailleur, qui pose problème.
C’est là où la minutie, les recherches
fouillées et la clarté des professionnels, administrateurs de biens,
administrateurs judiciaires, avocats, notaires et huissiers, sont requises. La
clarté peut consister à dire parfois une vérité qui dérange : « ne
prenons pas de risques devant l’incertitude de la solution judiciaire. »
La teneur de nos conseils va évidemment
varier en fonction du moment de la rencontre avec le locataire ou le
propriétaire. Le droit de repentir a-t-il déjà eu lieu ? Faut-il il
piloter l’une des parties au contrat, avant qu’il n’ait lieu ?
Dans les deux cas, il faut connaître ou
avoir à portée de main, un maximum de décisions.
« Poursuivons… »
Il est donc admis que l’existence
de démarches irréversibles en vue de faire cesser l’activité commerciale
exercée dans les lieux, invalident un droit de repentir.
Le locataire doit conserver la
preuve de ses démarches.
Il est indispensable en premier lieu pour
le locataire de conserver scrupuleusement les preuves matérielles de ses
démarches
réalisées en vue de son départ et j’ajouterais, les preuves de chaque étape de
chaque démarche (par exemple, demande résiliation du contrat électricité, AR de
la demande par le fournisseur, convocation à une AG extraordinaire, AG,
publication de l’AG etc.). J’ajoute, quel que soit le côté du contrat occupé,
qu’il faut prendre soin notamment devant la Cour d’appel d’invoquer TOUS
les moyens de fait de façon à ce que, le cas échéant, la Cour de cassation soit
juridiquement en mesure de les retenir.
Deuxième
partie
Les solutions « en
faveur » du preneur
Parmi les cas où le droit de repentir est
jugé nul, il y a, 1°) l’hypothèse où la notion de « démarches
irréversibles » est acceptée par les juges, 2°) celle où le repentir est
jugé « fautif » et 3°) celle où le repentir est tardif.
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● Le
cas d’école
Cour de cass. 3ème
civ., 15 mai 2008 n° 07-15.225
Après avoir donné congé avec refus de
renouvellement avec offre d’indemnité d’éviction à effet du 31 mai 2004, la
bailleresse est revenue sur sa décision le 19 novembre 2004.
Or il est établi, par un PV d’huissier de
justice antérieur à cette date, que l’ensemble des stocks et du matériel
démontable du fonds de commerce avaient été enlevés, qu’il n’existait plus
d’activité à l’intérieur du magasin « dont les deux clefs avaient été
remises au gérant » de la bailleresse qui les avait acceptées, que la
locataire avait résilié ses contrats d’abonnement d’électricité et d’eau dès le
28 mai 2004 à effet au 3 juin suivant…Il était également établi que la
bailleresse avait mis immédiatement ces abonnements à son nom, qu’elle avait
repris pleine possession des lieux le 3 juin…que la locataire avait licencié
son personnel…
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● L’acceptation des
démarches irréversibles + remise des clefs postérieurement au droit de repentir
TGI de CRÉTEIL 5èmechambre,
10 février 1997, AFF BOEHNLEN/MABILLE RG 36/2295
Congé avec refus de renouvellement et
refus de payer une indemnité d’éviction en date du 8 décembre 1994. Droit de
repentir notifié par la bailleresse le 20 juin 1996, offre de
renouvellement et proposition d’un nouveau loyer. A cette date la boutique est
toujours ouverte et les vitrines garnies. Pourtant, le droit de repentir est
jugé tardif car avant cette date :
- dès le 6 février
1996, la locataire a sollicité l’autorisation du Maire de la commune pour
liquider son stock ;
- le 3 avril 1996,
elle a par une AG extraordinaire modifié son objet social, transféré son siège
et publié l’AG le 17 mai suivant ;
- le 15 mai par
lettre RAR elle avertit sa bailleresse de son transfert d’activité et de siège ;
- elle procède à la
liquidation de son stock en juin et avait effectué à cet effet des publicités
dans la presse locale,
- avant le 20 juin
elle a fait procéder à la résiliation des abonnements de gaz, eau, téléphone et
effectué son déménagement
ET LE TRIBUNAL DE CONCLURE :
« Il
apparaît ainsi qu’avant le 20 juin 1996 la société B. (locataire) de manière
publique et non équivoque, avait entrepris une série de démarches irréversibles
aux fins de cesser l’activité commerciale exercée dans les lieux ; que
notamment la liquidation complète du stock concrétise le caractère irréversible
de ces actions ;
Il en
résulte que la présence matérielle de la société [locataire] dans les lieux au
20 juin 1996 n’avait d’autre but que de lui permettre d’achever la liquidation
des marchandises et de procéder à la remise en état des lieux, volonté
concrétisée par la lettre adressée le 15 mai 1996 à Madame M.
[bailleresse]. »
La 16ème Chambre B de la COUR
D’APPEL DE PARIS va, le 6 novembre 1998, CONFIRMER le jugement et reprendre les
éléments retenus par le tribunal en prenant soin de préciser :
- la présence dans les lieux de la locataire au
moment de l’exercice du droit de repentir n’était qu’aux fins de terminer la
liquidation de son stock et en l’attente de l’établissement de l’état des lieux
demandés, « alors qu’elle avait entrepris -comme l’ont à juste titre
retenu les premiers juges -une série de démarches irréversibles aux fins de
cesser l’activité commerciale exercée dans les lieux. »
-
la cour a en outre considéré -et cela est
selon moi très important- que la bailleresse ne pouvait « se prévaloir
de l’absence de remise des clés à la date de notification du repentir alors
qu’un rendez-vous avait été demandé à cette fin et qu’elle ne conteste pas
sérieusement que, pour pouvoir exercer un repentir, elle n’a pas accepté de
fixer un tel rendez-vous ».
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Cour d’appel de Paris, 16ème
ch. A, 29 oct. 2008, RG n° 07/08205
Une galerie d’art, prend à bail des locaux
dans un ensemble immobilier, au rez-de-chaussée de celui-ci.
Le bail qui devait expirer le 31 mars 2004
est en cours de tacite reconduction, personne ne réagissant à l’arrivée du
terme. C’est pourquoi au cours de cette tacite reconduction (ou prorogation) la
galerie sollicite le renouvellement de son bail, ce que refuse la bailleresse
sans offre d’indemnité d’éviction, pour motif grave et légitime en invoquant le
défaut réitéré de paiement du prix du bail à la suite de plusieurs
commandements (4 de 1999 à 2003, le bail datant de 1995). En janvier 2005, la
bailleresse saisit le TGI pour valider les motifs graves et légitimes.
A la suite du débat tant devant le
tribunal qu’entre les parties, la bailleresse notifiait le 9 juin 2005 qu’elle
exerçait son droit de repentir et qu’elle offrait le renouvellement du bail
moyennant un certain loyer. Un mois plus tard la locataire rendait les clefs
à la propriétaire.
En fait la cour d’appel retient qu’à la
suite du congé, toutes les œuvres étaient retournées à leurs auteurs respectifs
ou programmées pour être retournées et que la propriété du gérant fut
réaménagée…tout cela AVANT la notification du droit de repentir (qui elle-même
traduisait le renoncement aux motifs graves et légitimes…).
La cour note au surplus que la bailleresse
« était parfaitement informée par le courrier [de la locataire] du 2
juin 2005 du calendrier de départ des lieux comme des actes de déménagement
révélant la démarche irréversible à cet égard » et que l’ayant écarté
en avril 2005 d’une réunion avec les locataires, la bailleresse avait voulu la
mettre en difficulté…
---
Pour synthétiser,
tout ce qui tend à rendre irréversible la cessation de l’exploitation aux vu et
su de la bailleresse est bon à prendre et retenu par les juges du fond. On
reconnaîtra évidemment l’utilisation indispensable du lien de causalité entre
les faits conduisant à la cessation de l’activité et l’existence du congé avec
refus de renouvellement.
Le facteur temps joue un rôle également
important, la cour d’appel retenant que les démarches pour quitter les lieux
étaient entamées de longue date. Plus le bailleur tarde à faire valoir
son droit, alors que le locataire continue ses démarches, moins il a de chances
d’être reçu en son repentir.
Et bien entendu la bonne foi d’une
partie, en l’espèce en l’espèce celle du bailleur est fortement surveillée
par les juges du fond. En l’espèce la Cour a expressément insisté sur la nécessité
de la bonne foi de la naissance à la fin du contrat retenant que devant la
faiblesse de l’argument de la faute grave, la bailleresse avait fait en sorte
de notifier son repentir à un moment où
sa locataire ne pouvait se prévaloir d’un départ effectif des lieux.
---
● La
qualification de droit de repentir fautif
Cour de cass. 3ème
ch. civ., 10 mars 2010 N° 09-10.793
Cet arrêt est la suite de la
décision de la cour d’appel de Paris, du 29 oct. 2008 cité précédemment
rejetant le pourvoi contre cette dernière.
Il met l’accent sur la
volonté de nuire du bailleur vis-à-vis de sa locataire pour échapper au
paiement de l’indemnité d’éviction.
---
Cour de cass. 3ème
ch. civ., 15 mai 1990 n° 89-18.132
Corrélativement à la volonté
de nuire, il y a au travers de cet arrêt, l’exemple de l’exercice précipité
de son droit de repentir par le bailleur qui avait connaissance de la
mise en œuvre de son déménagement par la locataire, dont le dirigeant lui avait
fait parvenir un projet de protocole prévoyant une date limite pour son départ.
La locataire avait prévu de se domicilier dans les locaux d’une société de son
groupe ce dont le bailleur était au courant.
Parmi les hypothèses où le
droit de repentir peut être mis en échec, il y a celles où l’offre de
renouvellement n’est pas, antérieurement au départ du locataire, formulée de
manière claire.
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● Droit de repentir et attitude ambiguë des bailleurs
Cour de cass. 3ème
civ., 7 fév. 1990 n° 88-13.419
Cour d’appel et Cour de
cassation sont sur la même longueur d’ondes : pour les bailleresses, laisser
pendante une action en refus de renouvellement pour motifs légitimes, et
surtout formuler une demande de révision de loyer « en se réservant
expressément [la possibilité] de se prévaloir de la procédure en refus de
renouvellement », ne peut être la manifestation claire d’exercer
leur droit de repentir, la Cour de cassation ajoutant, « que la
remise des clefs, conséquence de l’attitude ambiguë observée par ces
[bailleresses], n’était empreinte d’aucune hâte suspecte ».
---
Les
solutions « en faveur » du bailleur retenant la validité du droit de
repentir
● Il ne suffit pas
pour le locataire d’avoir averti le bailleur de ses intentions de se
réinstaller ailleurs pour bloquer le droit de repentir.
Cour de cass. 3ème
civ., 27 février 1991 GP 1991, 2ème sem. 5 nov. 1991, aff. S.C.I. du
1 av Doublet c. Epoux Lecroisey
Encore faut-il que l’acte par
lequel le locataire qui s’est porté acquéreur de locaux soit connu du bailleur
et ait date certaine. Les juges du fond doivent également rechercher, dès lors
que cela leur est demandé, si l’engagement du locataire était définitif avant
l’exercice du droit de repentir. Cette jurisprudence trouve une confirmation
dans un arrêt de la troisième Chambre civile du 16 février 2000 publié dans la
revue LOYERS et copropriété juillet-août 2000 n° 169 p. 12.
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● Une activité existe
encore dans le fonds au moment de l’exercice du droit de repentir + remise
tardive de clefs
Cour de cass. 3ème ch. civ., 15
fév. 1995 n° 92-16.237
Les Conseillers d’appel, refusent la
validité du droit de repentir à une bailleresse parce que le transfert de
l’activité par la preneuse était partiellement réalisé, qu’elle avait commencé
à liquider ses marchandises et qu’une permanence pour la réception des clients
était prévue avec une date limite…que le repentir étant postérieur à cette
date, il n’avait pu avoir d’effet. Pour la Cour ces éléments suffisaient à
caractériser l’absence d’activité à la date du repentir.
La cour suprême ne l’entend pas de cette
oreille : la remise des clefs par la locataire à l’huissier de justice de
la bailleresse presque 5 mois après la notification du droit de repentir, au
motif qu’elle avait laissé dans les lieux de la marchandise pour payer les
loyers jusqu’à la date d’effet du congé, rend le repentir régulier.
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● Des lieux
fermés et des clefs rendues, après l’exercice de son droit par le bailleur.
Cour de cass. 3ème civ., 31 mai
2018 n° 17-14.179
A la suite d’un congé avec refus de
renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction, pour motif grave et légitime,
quelques mois plus tard, un 4 janvier 2013, la bailleresse exerce son droit de
repentir. Postérieurement, la locataire ferme les lieux (quelques jours plus
tard) et restitue les clefs à la bailleresse (environ deux semaines après le
droit de repentir).
La cour de cassation approuve la cour
d’appel d’avoir retenu finalement que la locataire n’avait pas été au bout de
son projet de déménagement uniquement en tenant informée la bailleresse de
celui-ci et qu’au surplus des meubles étaient encore dans le local et les
clefs non restituées à la date de l’exercice du droit de repentir de sorte
qu’un « processus irréversible de départ des lieux » n’avait pas
été engagé.
On pourrait rapprocher l’esprit de cet
arrêt avec celui du 27 novembre 2002 ci-dessous.
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● A
la date de l’exercice du droit de repentir : licenciement économique des
salariés non intervenu [uniquement convocation préalable à un entretien en vue
du licenciement]– absence de liquidation des stocks – pas de nouveau bail signé
-pas d’achat de murs ==è aucun
processus irréversible de départ des lieux.
Cours de cass 3ème
civ., 1er octobre 2014 n° 13-17.114 B
---
● Opérations
de déménagement non terminées + remise des clefs postérieures à l’exercice du
droit de repentir.
Cour de cass. 3ème ch. civ., 27
novembre 2002 n° 01-12.308
On peut se poser la question de savoir si
cet arrêt n’est pas un arrêt d’espèce, tant la solution me paraît surprenante.
Voici une locataire dont l’activité était
la vente d’automobiles. A la suite d’un congé avec refus de renouvellement,
elle :
-
résilie le contrat de fourniture d’eau
-
en fait de même pour la fourniture d’air comprimé,
-
pour le nettoyage industriel,
-
pour la protection contre l’incendie,
-
avance son déménagement de manière significative,
-
réalise des « travaux importants » dans un autre
local pour s’y installer.
Pourtant la Cour de cassation casse et
annule l’arrêt de la Cour d’appel, pour violation de la loi, en indiquant implicitement
qu’elle aurait dû accueillir la validité du droit de repentir exercé en
retenant que la locataire n’avait pas terminé ses « opérations de
déménagement et que les clés des locaux loués n’étaient pas restituées ».
Cette solution est sévère et a semblé
marquer un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure sur les
démarches irréversibles. Est-ce parce-que la résiliation de contrats de
fournitures et autre abonnements divers, peut être réversible par la
souscription de nouveaux contrats ? La solution eût-elle été la même si la
bailleresse avait été prévenue par la locataire de ses intentions et que
cette dernière avait en même temps, par exemple réalisé de la publicité
vis-à-vis de sa clientèle relativement au transfert de son activité en un autre
lieu, voir même prévoyant une date d’inauguration pour les nouveaux locaux ?
On peut en douter.
---
● Clefs remises
au bailleur avant son exercice du droit de repentir, mais meubles + matériel
laissés sur les lieux en quantité significative (« une grande
partie »). Absence de libération effective et complète des locaux.
Cour de cass. 3ème
ch. civ., 29 nov. 2000 n° 99-14.361
Les clefs avaient
bien été remises au bailleur qui cependant a exercé ensuite son droit de
repentir. La locataire représentée par son liquidateur a tenté en vain de faire
juger que le repentir était tardif. Cependant, le fait d’avoir laissé du
matériel et des meubles en quantité, lui a valu d’être déboutée par les juges
du fond qui ont été approuvés par la Cour de cassation.
---
·
Non restitution des locaux par la locataire, absence
de démonstration par la locataire de sa volonté de quitter ses locaux, absence
de connaissance par la bailleresse d’un nouveau bail pour la réinstallation de
la locataire, absence de bail ayant date certaine.
Cour de Cass. 3ème
civ., 23 mai 2002 n° 01-00.980 FS-D
---
Une systématisation de la
jurisprudence est-elle possible ?
L’arrêt de la Troisième chambre civile de
la Cour de cassation du 15 décembre 2021 n° 21-11.634 mérite un examen.
Les faits son classiques, une locataire
sollicite le renouvellement de son bail, le bailleur lui refuse mais lui offre
une indemnité d’éviction. La preneuse l’assigne en paiement de ladite indemnité
mais il lui notifie son droit de repentir. Ce n’est que 8 jours plus tard qu’un
état des lieux sera réalisé et les clefs restituées.
La cour d’appel (qui infirme le jugement
de première instance) déclare valable l’exercice du droit de repentir.
La preneuse se pourvoit en cassation et
invoque lors de la notification du droit de repentir, avoir « déjà
engagé un processus irréversible de départ des lieux, rendant impossible la
continuation de l’exploitation du fonds dans les lieux ».
Pour la Cour d’appel :
il ne peut y avoir de processus irréversible de départ des lieux si le bailleur
n’est pas préalablement informé des intentions et des actes de la preneuse, quand
bien même, le jour même de la notification du droit de repentir, le magasin est
vide de mobilier et matériel, qu’un mois avant cette notification le CE s’était
réuni et voté la fermeture du magasin, que dans les jours qui ont suivi les
procédures de licenciement étaient engagées, que le déménagement était mis en
œuvre et que les contrats avec les fournisseurs étaient résiliés…
La Cour de cassation, partant du
principe juridique bien connu, selon lequel, « il ne faut pas ajouter à
la loi des conditions qu’elle ne contient pas » va casser
l’arrêt des Conseiller(e)s en disant que l’engagement seul du
processus suffit à faire obstacle à l’exercice du droit de repentir par le
bailleur. Cela suppose d’ailleurs que la Cour de cassation a très bien accepté
d’assimiler les éléments du processus sus-décrits, au départ des lieux.
Autrement dit, cet arrêt ne remet
nullement en cause les critères « classiques » visés pour les juges
du fond pour caractériser la notion de processus irréversible de départ des
lieux : il l’entérine et précise ses contours. Pas besoin d’avertir le
bailleur de ses intentions…
Pour autant, si le bailleur est averti par
le locataire de ses intentions, je pense fermement que c’est un plus pour le
dossier du locataire, à partir du moment où l’irréversibilité de la
cessation d’activité dans les lieux est simultanément quasi-acquise par la
réunion d’un ensemble de démarches concrètes et démontrables. Mais, se
contenter d’avertir simplement de ses intentions non concrétisées, peut
permettre au bailleur de notifier efficacement son droit de repentir.
Troisième
partie
Que peut-on lire en
plus, chez quelques auteurs, sur la caractérisation du processus de départ
irréversible ?
Guide des baux
commerciaux 22/23 éd. Lexis Nexis, sous la direction de Joël Monéger.
« Engage sa
responsabilité l’avocat qui conseille au preneur de notifier au bailleur la
date à laquelle il compte quitter les lieux, puisque cette information sur les
intentions du preneur a conduit le bailleur à lui signifier son droit de
repentir avant son départ. »
Traité des baux
commerciaux de Monsieur Jean-Pierre BLATTER, 6ème édition, nov.
2017, LE MONITEUR
Sur la hâte du
locataire à quitter les lieux pour faire échec au droit de repentir :
l’abus du droit.
M. BLATTER cite en
plus ( § 1474 de son manuel, Cass. Com. 9 mai 1955, bull. civ III ;
Cass. com. 2 nov. 1964 bull. civ. III).
L’auteur considère
comme emblématique l’arrêt cité du 10 mars 2010, sus-cité. Il souligne que
lorsque les démarches pour le processus irréversible sont effectuées, « le
bailleur surtout s’il en est informé, ne peut plus exercer son droit de
repentir ». On ne peut que souscrire à cette analyse.
Le statut des baux
commerciaux, de MM. Jehan-Denis BARBIER et Charles-Edouard BRAULT, éd. LJDJ
2020, coll. EXPERTS
Sur la hâte
anormale du locataire pour faire échec au droit de repentir, les auteurs citent
notamment Cass. 3e civ., 15 mai 1991 N° 89-18132, GP 1991, 2, p 612.
Les auteurs
consacrent un paragraphe spécial à la remise des clefs, tardive et
irrégulière :
Cass. 3ème
civ. 14 mars 1990, rev. Loyers 1990 p 337, Cass. 3e civ. 15 fév. 1995 n°
92-18769 GP 1995, 2, p385.
Par M. Laurent
RUET, in Les baux commerciaux, Juin 2020, Lextenso
Pour lui « en
clair il suffit que le locataire ait laissé dans les lieux la moindre machine
pour que le bailleur puisse se prévaloir du droit de repentir tant que le délai
de quinze jours n’a pas expiré, alors que le locataire a de fait, déjà
déménagé. » De citer à l’appui de son analyse : Cass. 3e
civ. 7 oct. 1998, Quot. Jur. 1998 n°90 p 3 et l’arrêt cité supra, du 27
novembre 2002 n° 01-12308.
J’ajoute que
finalement cette jurisprudence est d’autant plus compréhensible, que les clefs
n’ont pas encore été restituées au moment du repentir dans l’espèce de 2002.
En
conclusion : sauf à découvrir des principes constants, tout est à
analyser au cas par cas pour caractériser le périmètre des démarches
irréversibles.
La question reste
à suivre…
ANNEXES
Voici des critères
permettant d’analyser la situation et de caractériser les démarches
irréversibles assimilées au départ des lieux, validés par la jurisprudence.
Voici donc une
ébauche de liste non exhaustive de vérifications à pointer…ou de démarches à
effectuer.
Ecrire en RAR □ Conserver les AR □
Liquider le stock □
- avoir contacté
l’administration compétente pour obtenir l’autorisation □
- une fois
l’autorisation obtenue faire une publicité dans un journal local □
- être en train de
réaliser la liquidation □
Avoir résilié les
abonnements :
de fourniture d’énergie
□
d’eau □
d’électricité
□
de téléphone □
En cas spécifique de transfert d’activité d’une société : tenue d’une AG pour valider le transfert du siège
et la publier dans un journal d’annonces légales □
Avoir déménagé le matériel et les meubles qui étaient nécessaires à
l’exercice de l’activité où être en train de réaliser ce déménagement, présence
résiduelle de meubles ou de matériel au moment du repentir □
Présence ayant seulement pour but de remettre en état les lieux □
Avoir averti la
bailleresse du processus irréversible de départ des lieux avec le cas échéant,
demande de rendez-vous pour l’état des lieux et la remise des clefs □
Le
bailleur a-t-il accepté le rendez-vous pour la remise des clefs avant de
manifester son repentir ? oui □ non □
Avoir averti la bailleresse que la réalisation juridique du transfert
d’activité est en cours, et que d’autres démarches sont soit achevées ou sur le
point de l’être □
Avoir publié ou signé par acte authentique, un bail, un acte
d’acquisition, ou une promesse de bail ou de vente (synallagmatique ou
unilatérale) □ L’engagement du client est définitif □ Avoir
transmis au bailleur copie de l’acte publié □ Les actes signés ont-ils date certaine ? OUI □ Non □
Ont-ils été visés dans es écritures transmises à l’adversaire et au
tribunal ? Oui □ Non □
Avoir fait dresser un PV par huissier, relatant la situation matérielle
des lieux □
*
* *
Autres arrêts, utiles, rappelant les principes
élémentaires de l’exercice du droit de repentir et de sa mise en échec.
« La
location commerciale ou l’acquisition d’un immeuble pour une réinstallation
commerciale ne fait échec au droit de repentir que si la location ou
l’acquisition ont date certaine avant la notification du droit de
repentir » 3ème civ.,29 juin 1976 N° 74-13.639
publié au bulletin.
Il se
déduit d’un arrêt de la Cour de cassation, que lorsqu’un acte n’a pas date
certaine, que le juges du fond doivent rechercher si la locataire n’a pas
démontré que les bailleurs connaissaient la substance de l’acte qui permet la
réinstallation de ladite locataire, au travers des pièces versées au
cours des instances et invoquées dans les conclusions : Cass. 3ème
civ., 6 janvier 1972 n° 71-10.889.
JURISPRUDENCE CITÉE DANS CET ARTICLE
(LA LISTE DES ARRETS DE LA COUR DE CASSATION
CITÉS DANS LE PRÉSENT ARTICLE SONT TOUS DE LA 3e CHAMBRE SAUF
PRÉCISION).
1967
11
octobre Cass. com n° 66-13.450
1971
7
janvier n° 69-20.314
1972
6
janvier n°
71-10.889
1976
29
juin n°
74-13.639 B
1979
17
janvier n°
77-12.115
1981
24
mars n°
80-11.213
1990
07
février n°
88-13.419
15 mai n° 89-18.132
1995
15
février n°
92-16.237
1996
14 novembre n° 95-10.644
1997
TGI DE
CRETEIL 5ème ch.
10
février BOEHNLEN/MABILLE
1998
Cour
d’appel de PARIS
16è
ch. B
6
novembre Mabille /CONTROL’MODELS
2000
CA
PARIS 16è ch. A
20
novembre Merciano/Sté Fourmi
29
novembre n° 99-14.361
2002
23 mai n° 01-00.980 FS-D
27
nov. n° 01-12.308
2006
CA
PARIS 16e ch. A
15
mars RG
04/21240
2008
15 mai n° 07-15.225
CA
PARIS 16è ch. sec. A
29
octobre SCI VENDOM TRIDOR/GALERIE ENRICO
2010
10
mars n°
09-10.793
2014
1er
octobre n°
13-17.114
2018
31 mai n° 17-14.179
2021
15
décembre n° 21-11.634
Document
élaboré le 06/05/2023
par Me
Éric DESLANDES,
Avocat
au Barreau de Paris –
8 rue
des Saints Pères 75007
Tél.
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