dimanche 29 juin 2025

Période d'appréciation de la modification des facteurs locaux de commercialité lors d'une révision triennale ? Je vous donne un indice...

 Cass. 3ème civ., 16 décembre 1998 n° 96-22.490 PB

 

La clause d'échelle mobile ne fait pas obstacle à la révision triennale légale de l'article L. 145-38 du code de commerce.

La locataire assigne sa bailleresse en révision légale du loyer annuel (ancien article 27 alinéa 3 du décret de 1953 devenu L. 145-38). Le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile. Il convient de préciser que le locataire a sollicité la fixation du loyer à la baisse

Les juges du fond accueillent sa demande.

Quels sont les arguments qui motivent la bailleresse à se pourvoir en cassation ?

Elle part du postulat que selon la loi, et c’est exact en l'espèce, la période de référence sur laquelle s’apprécie les critères du déplafonnement, se situe entre la date de la dernière fixation amiable du loyer et celle de la demande de révision. Et c’est là où elle interprète la notion du loyer indexé contractuellement pour dire : ah oui mais la dernière fixation amiable c’est le loyer indexé, or désolée mais quand la locataire a fait sa demande, il n’y avait pas eu une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative sur  durant les trois années en arrière…. La période retenue pas les juges, à savoir celle entre la date d'entrée en vigueur du contrat et la date de la demande en révision, n’était donc pas la bonne et peu importe que sur cette période il y ait eu une possibilité d’écarter l’application des indices, car postérieurement à celle-ci la modification matérielle permettant le « déplafonnement », ne s’était plus produite.

De plus ajoute la bailleresse, sans cette modification matérielle au cours des 3 dernières années, point de possibilité de faire varier le loyer en dehors du jeu des indices.

La Cour de cassation va donner raison à la cour d’appel. L’application de l’indice résultant de la clause d’échelle mobile doit être distinguée du mécanisme de la révision triennale légale. Appliquer chaque année la variation de l’indice en application de la clause d’échelle mobile, ce n’est en aucun cas appliquer une nouvelle fixation du loyer qui ferait de ce loyer, le loyer de base pour la révision légale.

Dès lors la bailleresse ne pouvait remettre en cause le principe selon lequel on apprécie la modification des facteurs locaux de commercialité sur la période qui va du dernier loyer fixé amiablement ou judiciairement au jour de la demande de révision. En l’espèce cette période allait de la prise d’effet du contrat au jour de la demande de révision.

Rappelons que l'on a le choix des révisions, L. 145-38 ou L. 145-39...On applique le système dont les conditions sont réunies et/ou qui sont les plus avantageuses.

Rappelons aussi que si par le jeu de l'indexation contractuelle, la valeur locative se trouvait sous la barre de ce loyer indexé, alors la valeur locative ne pourrait être obtenue sur le fondement de la révision légale (L. 145-38) que si la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité avaient entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative.  

Je déborde du sujet, mais saviez vous bailleur ou bailleresse, que si vous obtenez un prix du bail déplafonné au moment du RENOUVELLEMENT de celui-ci, pour éviter que l'augmentation qui en résulte ne soit lissée trop longtemps, vous pouvez demander une révision limitée au jeu des indices 3 ans et un jour plus tard et qui portera sur l'entier montant du loyer du bail renouvelé et déplafonné et non sur le prix résultant du lissage ?


 

mercredi 19 février 2025

Le minimum garanti, la partie variable représentée par un pourcentage du chiffre d'affaires et la révision triennale.

 Tribunal judiciaire, Loyers commerciaux, Paris,

 Jugement du 24 juillet 2024, RG N° 23/02404

 

Problématique traitée

Il n'est pas rare, dans les centres commerciaux de fixer les loyers des boutiques en fonction d'un minimum garanti, la partie fixe, auquel s'ajoute une partie variable résultant de l'application d'un pourcentage au chiffre d'affaires HT du commerçant. Composé de deux parties, le loyer est alors appelé loyer binaire.

Le litige survient lorsque le locataire qui pressent une baisse de la valeur locative veut obtenir la révision de la partie fixe du loyer qu'il a acceptée.

Dans cette affaire les parties sont liées par un bail à loyer binaire.

Le loyer minimum garanti est indexé sur l' ILC.

Le loyer variable additionnel consiste, quant à lui à "la différence positive entre un pourcentage du chiffre d'affaires hors taxes, fixé à 8%".

La locataires sollicite auprès de la bailleresse et de son gérant, la révision du loyer à la valeur locative et à la baisse en l'occurrence.

La bailleresse lui répond que la révision triennale prévue par les article L. 145-37 et s. du code de commerce ne s'applique pas aux loyers binaires.

La locataire notifie par acte extra judiciaire un mémoire préalable puis dans son dernier mémoire, sollicite outre bien sûr la réduction du loyer à une certaine somme, une mesure d'expertises subsidiaire. Elle fonde sa valeur locative, sur deux rapports d'expertise unilatérale.

Elle estime que le juge des loyers est compétent, même s'il n'est pas rendu compétent expressément par le bail et qu'en l'espèce le bail contient une clause qui stipule expressément : " les Parties restent fondées à voir réviser le loyer en application des dispositions d'ordre public des article L 145-37 et L. 145-38 du code de commerce." Elle ajoute que la révision triennale est l'unique moyen en l'espèce pour le preneur d'obtenir judiciairement un diminution du loyer facturé, car en cas de renouvellement une clause du bail prévoit un plancher, or le loyer minimum, avec le jeu des indices, ne pourra qu'augmenter, ce qui pour le preneur n'est pas économiquement viable. Tels sont ses arguments.

Pour la bailleresse la révision triennale ne peut être recevable. Les parties, en choisissant un loyer binaire ont volontairement exclu l'application des règles de la révision triennale elle-même faisant partie du statut des baux commerciaux. Elle réplique que la clause citée par la locataire ne parle pas de loyer binaire et n'est pas adaptée à celui-ci.

Quelle est la solution apportée par le juge ? Quels moyens factuels et juridiques retient-il ?

Il n'étonnera personne que le juge s'en soit remis à la volonté des parties, qu'il l'ait examinée.

On y découvrira l'attractivité de ce que les parties ont décidé au moment du renouvellement du bail dans la détermination de la volonté des parties.

Le juge retient une clause du bail d'origine : "Nonobstant la clause d'indexation ci-dessus, les Parties restent fondées à voir réviser le loyer  en application des dispositions d'ordre public des articles L. 145-37 et  L. 145-38 du code de commerce."

Il la met en lien avec la clause concernant le renouvellement du bail et ce qui doit être fait pour le loyer du bail renouvelé : "le loyer minimum garanti sera fixé judiciairement selon les modalités prévues aux R. 145-23 et suivants du code de commerce"... 

Il en conclut  d'une part que "par une disposition expresse les parties ont entendu se conformer aux règles légales de révision du loyer" et ce par "une disposition expresse" qui n'exclut pas la compétence du juge des loyers commerciaux " en cohérence" avec la clause concernant la révision du loyer minimum garanti et d'autre part que le juge des loyers commerciaux est compétent pour examiner la demande révision du loyer minimum garanti.

Un expert judiciaire sera désigné, chaque partie ayant produit un ou plusieurs rapports d'experts privés sans qu'un seul d'entre eux ne soit particulièrement complet et convainquant. 

Se pose alors la question et si une telle clause n'avait pas existé à propos de cette révision, si le juge n'aurait pas eu la possibilité de prendre en compte des éléments extrinsèques au contrat et notamment le comportement antérieur des parties au litige. La réponse est positive si l'on prend en compte la dernière jurisprudence de la Cour de cassation en matière de loyer binaire et de fixation du prix du loyer minimum garanti au moment du renouvellement du bail. L'article de Me Jean-Pierre BLATTER (Loyer binaire et office du juge AJDI 2024 p 614) est à cet égard pédagogique.

 

Autre particularité intéressante de ce jugement, qui doit attirer notre attention sur la volonté des juges, débordés, de voir les parties aboutir à une solution amiable, les parties se voient enjoindre de consulter un médiateur qu'il désigne, après le dépôt de la note de synthèse de l'expert judiciaire, chargé de recueillir les critères pour fixé le prix du loyer révisé.

Je suis enclin à accepter cette méthode et à la conseiller dorénavant à mes clients. En effet, même avec cette obligation à consulter un médiateur à titre d'information, l'expertise donc le procès, avancent, c'est ce qui compte, et la note de synthèse de l'expert vient éclairer les parties et leurs avocats sur le sens hautement probable de la décision future...ce qui ne peut qu'inciter des avocats raisonnables et experts des baux commerciaux et des jurisprudences de tribunaux à négocier, en accord avec leur client(e) et à ne pas s'entêter à batailler inutilement.

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