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vendredi 17 avril 2020

L'interaction entre le statut du bail commercial et le mécanisme du bail emphytéotique


Article L145-3
Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables aux baux emphytéotiques, sauf en ce qui concerne la révision du loyer. Toutefois, elles s'appliquent, dans les cas prévus aux articles L. 145-1 et L. 145-2, aux baux passés par les emphytéotes, sous réserve que la durée du renouvellement consenti à leurs sous-locataires n'ait pas pour effet de prolonger l'occupation des lieux au-delà de la date d'expiration du bail emphytéotique.


Fiche pratique documentée à jour au 14 avril 2020


Une joie de courte durée !

Le parisien que je suis, cependant que pas jacobin pour deux sous, faillit voir sa joie promptement tarie par une amie juriste, qui, sans ménagement m’envoya à l’oreille (nous étions au téléphone) « personne ne va lire ton article, le bail emphytéotique ne s’utilise plus… ».

Découvrir les fondements et les mécanismes de ce contrat à la dénomination tellement impressionnante par le mystère qu’elle renferme…(d’ailleurs l’on notera que dans les mots les plus mystérieux, figurent « y » et « ph »…).

Qu’importe, au moins, la terre entière aura la possibilité de voir que je me perfectionne réellement !

Ceci étant NON, les spécialistes de ce type de bail nous le disent bien : il est encore d’actualité !


L’étymologie : l’outil de base du juriste ?

J’en suis convaincu.

Une anecdote, courte. Sur les centaines d’élèves avocats interrogés, aucun d’entre eux n’a pu me donner la racine du mot qu’ils détestent pourtant le plus ! « Théorie ».

C’est vrai que leur visage change, dès lors qu’ils apprennent que ce mot vient du verbe grec « theorein » : observer, ce qui dès lors réconcilie bon nombre d'entre eux avec l'enseignement magistral, qui dès lors, malgré ce que leur inexpérience leur fait penser, les rapproche de la pratique

Madame Christine LEBEL, relève que le terme emphytéose a pour origine un verbe grec signifiant « mettre en plantation »[1].

En fait une étude rapide de la notion de bail emphytéotique nous dirige immédiatement vers deux problématiques : la qualification du contrat (I) et l’application ou non de la révision du loyer à ce type de bail (et donc à l’application de l’article L. 145-3 du code de commerce) (II). Mais le statut du bail commercial reprendra son emprise, comme la loi en dispose dans la relation tout à fait possible, entre l’emphytéote et son propre locataire, à une condition toutefois (III).


I.- La qualification du contrat et sa raison d’être.

A.- Nature et régime juridique.

La nature et le régime juridique de ce contrat figurent dans le Code rural et de la pêche maritime aux articles l.451-1 et suivants. J’en reproduis les articles, qui, in fine sont utiles pour comprendre les caractéristiques fondamentales de ce bail.

« Article L451-1
Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière.
Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction. »

« Article L451-4
Le preneur ne peut demander la réduction de la redevance pour cause de perte partielle du fonds, ni pour cause de stérilité ou de privation de toute récolte à la suite de cas fortuits ».

« Article L451-7
Le preneur ne peut opérer dans le fonds aucun changement qui en diminue la valeur.
Si le preneur fait des améliorations ou des constructions qui augmentent la valeur du fonds, il ne peut les détruire, ni réclamer à cet égard aucune indemnité ».

« Article L451-8
Le preneur est tenu de toutes les contributions et charges de l'héritage.
En ce qui concerne les constructions existant au moment du bail et celles qui auront été élevées en exécution de la convention, il est tenu des réparations de toute nature, mais il n'est pas obligé de reconstruire les bâtiments, s'il prouve qu'ils ont été détruits par cas fortuit, par force majeure ou qu'ils ont péri par le vice de la construction antérieure au bail.
Il répond de l'incendie, conformément à l'article 1733 du code civil. »

« Article L451-9
L'emphytéote peut acquérir au profit du fonds des servitudes actives, et les grever, par titres, de servitudes passives, pour un temps qui n'excédera pas la durée du bail à charge d'avertir le propriétaire. »


« Article L451-10
L'emphytéote profite du droit d'accession pendant la durée de l'emphytéose. »


« Article L451-13
Ainsi qu'il est dit à l'article 689 du code général des impôts, l'acte constitutif de l'emphytéose est assujetti à la taxe de publicité foncière et aux droits d'enregistrement aux taux prévus pour les baux à ferme ou à loyer d'une durée limitée.
Les mutations de toute nature ayant pour objet soit le droit du bailleur, soit le droit du preneur, sont soumises aux dispositions du code général des impôts concernant les transmissions de propriété d'immeubles. Le droit est liquidé sur la valeur vénale déterminée par une déclaration estimative des parties. »

Ceci étant il convient de rappeler que ce bail trouve son origine dans le droit romain et qu’il s’adapta au système féodal puis durant la période révolutionnaire.

Il procure au locataire dénommé « emphytéote », un droit réel sur la chose louée ainsi qu’en témoignent les dispositions sus-visées.

On comprend mieux la finalité économique de l’ensemble de ces caractéristiques : le bailleur ne veut pas exploiter et donc faire fructifier les terres (sous-sol y compris) et les immeubles le cas échéant, qui constituent son patrimoine, mais ne veut pas non plus les aliéner…dès lors il a besoin d’en transférer ce que j’appellerai une « quasi-propriété » pour laisser les mains libres au locataire, mains libres bénéficiant et c’est le but, tant au locataire durant le cours du bail qu’au bailleur à l’arrivée du terme.

Madame LEBEL relève utilement que ce type de contrat peut être utilisé pour la location d’un immeuble commercial ou industriel, d’où sa mention dans le statut des baux commerciaux et sa nécessaire adaptation aux exigences dudit statut.

Bien évidemment, se pose la question de la qualification du bail et donc de ses critères. Correspondra au bail emphytéotique le bail qui :

-        Aura une durée d’au moins 18 ans ;
-        Stipulera la libre cession du droit au bail et la libre possibilité de réaliser des améliorations ;
-        Verra le caractère modeste de son loyer ;
-         Et permettra la conservation de la propriété des améliorations par le bailleur au terme du bail.

L’on trouve la liste de ces critères en jurisprudence[2].

A contrario, nonobstant la durée du bail, l’inclusion dans le bail d’une clause résolutoire et la nécessité d’une autorisation du bailleur pour céder le bail seront jugées incompatibles avec la qualification de bail emphytéotique[3].


B.- Les litiges autour de la qualification

Classiquement on trouve le bailleur qui souhaite réviser le loyer et qui, de prévaut de la qualification de bail commercial.

A l’inverse on trouve un locataire qui actionne en nullité de la révision en arguant du caractère emphytéotique du bail.

Le statut du bail commercial ne peut, s’appliquer aux baux emphytéotiques, y compris l’article L 145-33 du code de commerce, nonobstant les dispositions de l’article L 145-3 du même code.



II.- L’absence d’extension du statut du bail commercial au bail emphytéotique.

L’arrêt fondateur, qui vient contredire quoi que l’on dise, la première phrase de l’article L 145-3 du code de commerce, selon laquelle seules les dispositions concernant la révision du loyer commercial s’appliquent au bail emphytéotique, date du 19 février 2014[4].

La Cour suprême, précise bien que le canon (nom donné au loyer payé par l’emphytéote au bailleur) n’est pas concerné par le système de révision du loyer commercial de l’article L. 145-33.

En 2016, la Cour de cassation approuve une cour d’appel d’avoir « retenu que la valeur locative était étrangère à l’économie du contrat de bail emphytéotique, la contrepartie de la jouissance du preneur étant pour le bailleur, non le payement du loyer, mais l’absence de renouvellement et l’accession sans indemnité en fin de bail de tous travaux et amélioration faits par le preneur » pour rejeter la demande de révision du loyer, nonobstant l’évolution favorable des facteurs locaux de commercialité[5].


III.- Le bail commercial passé entre l’emphytéote et son locataire : une contrefaçon ?

Un tel bail est tout à fait possible. Il est donc logique que le statut constitue son régime, à condition précise la loi que « la durée du renouvellement consenti à leurs sous-locataires n’ait pas pour effet de prolonger l’occupation des lieux au-delà de la date d’expiration du bail emphytéotique ».

Il est clair que le sous-locataire ne peut espérer une indemnité d’éviction que s’il peut bénéficier d’un renouvellement et que celui-ci lui est refusé par l’emphytéote[6]

C’est bien pourquoi, le statut des baux commerciaux ne peut s’appliquer totalement à l’emphytéote au regard de la limitation de durée du bail principal emphytéotique.

Si cette limitation de durée n’est pas librement consentie, parce que l’on croyait être en possession d’un bail commercial octroyé par le propriétaire de murs (alors qu’il l’a été par l’emphytéote), on est effectivement en droit de se prévaloir d’un préjudice qui n’est pas éventuel, parce que le bénéfice du droit au renouvellement sauf paiement d’une indemnité d’éviction, n’existe pas, le terme du bail emphytéotique devant survenir, met justement fin au droit au renouvellement…mécanisme qui, bien entendu, n’est pas prévu par le statut…[7]


En conclusion, je ne sais faute d’avoir croisé la route de ce type de bail, si ce dernier fait florès (le plus grand des spécialistes ne faisant aucun commentaire particulier sur la fréquence de son utilisation), mais son mécanisme ingénieux est utile et gagne à être connu ![8]


[1] La revue des loyers n° 957 1er mai 2015 : « La révision du canon impossible ».
[2] Cass. 3e civ., 12 oct. 1994
[3] Cass. 3e civ., 30 mai 2007 n° 06-14934
[4] Cass. 3e civ., 19 fév. 2014 n° 12-19270
[5] Cass. 3e civ., 4 fév. 2016 n° 15-21381
[6] Cass. 3e civ., 9 fév. 2005 n° 03-17065
[7] Cass. 3e civ., 10 oct. 2019 n° 18-16063
[8] Il faut rendre à César ce qui est à César, aussi, l’on pourra se reporter utilement à l’article de mon Confrère Christophe DEGACHE publié sur le site du Village de la Justice, le 17 avril 2018. Pour lui et il faut lui faire confiance, ce type de bail est toujours d’actualité.