vendredi 29 juillet 2022

La fixation de la provision de loyer durant la procédure en fixation du prix du bail renouvelé devant le juge des loyers : à argumenter de part et d'autre !

 Cass. 3ème civ., 11 mai 2022 

n° 20-21.651 (joint avec 689 et 652)

 

R.145-23 du code de commerce : "Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.

La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble".

NB Cet arrêt a ordonné la jonction de trois pourvois entre les mêmes parties, il n'est question ici que d'un des trois pourvois tranchés par cet arrêt.

Pour bien comprendre l'intérêt de la question il faut juste préciser quelques faits contenus dans l'arrêt d'appel (PAU 09/09/2020, n° 19/00730).

DANS CETTE AFFAIRE, la locataire saisit le juge des loyers pour faire fixer le prix du loyer du bail dont le renouvellement a été accordé par la bailleresse.

Le juge des loyers ordonne une expertise et le temps que la solution soit apportée, fixe un loyer provisionnel. Le montant de ce dernier est celui que la bailleresse avait demandé dans son mémoire.

L'expert rend son rapport et le montant du loyer qu'il préconise est inférieur au montant du loyer provisionnel versé durant l'expertise par la locataire.

Je juge des loyers suit l'expert sur le montant du loyer, mais refuse de faire droit à la demande de condamnation formulée par la locataire  en remboursement du trop-perçu de loyers par la bailleresse, estimant que cette demande dépasse ses pouvoirs.

La cour d'appel se range de l'avis du premier juge et est elle-même suivie par la Cour de cassation: une demande de condamnation excède la compétence du juge des loyers commerciaux telle que réglementée par l'article R.145-23 du code de commerce.

 

jeudi 28 juillet 2022

Tout ce qui est illégal, mais seulement ce qui est illégal - La clause d'indexation illégale, n'est pas forcément indivisible...

 Cass 3ème civ. 12 janvier 2022

n° 21-11.169

 

Art. L.145-15 du code de commerce, Modifié par LOI n°2014-626 du 18 juin 2014 - art. 6

Sont réputés non écrits, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54.

En outre, et par dérogation à l'article L. 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.

[Conformément au 21 II de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, les présentes dispositions sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.]

 

Dans cette affaire....un bailleur fait figurer dans son bail, une clause d’indexation dont le contenu en son alinéa 2, l’empêche d’être prise en compte lorsqu’elle varie à la baisse…Pour le bailleur c’est une clause fondamentale, sans laquelle il n’aurait pas contracté, et il se réserve le droit de solliciter la résiliation du bail si cette clause est violée, même partiellement.

Dans le cadre d’un litige portant sur des trop-payés de charges et de frais de gestion, la locataire en profite pour solliciter le remboursement d’un trop-payé de loyer résultant du jeu de cette clause d’indexation, car elle estime cette dernière non-écrite « dans son intégralité ».

Les juges du fond, lui donnent raison car ils estiment, cour d’appel y compris, que :

la clause qui écarte toute réciprocité de variation fausse le jeu normal de l’indexation et est donc contraire aux dispositions de l’article L.112-1 du code monétaire et financier.

 Ils ajoutent que ne permettant pas une baisse du loyer elle est contraire à la lettre de l’article L145-39 du code de commerce et doit donc être réputée non écrite.

Le bailleur répond que ce qui n’est pas valable dans la clause peut être déclaré non-écrit sans que le reste de la clause ne soit altéré et effectivement, si l’on supprime l’interdiction de prise en compte de la variation à la baisse de l’indice, la clause redevient conforme à l’article L.145-39 du code de commerce.

La Cour d’appel vient contrer ce moyen en soulignant « que l’on comprend mal » que le bailleur ait fait de la clause un tout indivisible en stipulant qu’elle est un élément essentiel de son contrat, en sanctionnant sa violation même partielle par la possibilité de demander la résiliation du bail…et qu’aujourd’hui il considère que finalement sa clause « puisse être amputée d’une partie de son contenu. »

La Cour de cassation qui reconnait que la clause fausse le jeu de l’indexation en modifiant le délai d’atteinte de la variation du quart conditionnant la révision du loyer, censure la Cour d’appel : les termes de cette clause ne sont pas indivisibles, seule la stipulation doit être déclarée non écrite.


Commentaire : le droit est dit, mais justice a-t-elle été rendue ? La Cour de Cassation donne raison à une personne qui finalement se prévaut de sa turpitude. Voici ce qu'elle pourrait se dire : "J'insère dans mon contrat une clause qui viole une disposition d'ordre public et je gagne quand même, à tous les coups...soit la locataire ne voit rien et elle paye...si elle s'aperçoit de la "supercherie" elle paye quand-même...nonobstant le fait que j'ai bien précisé que ma clause illégale était essentielle et indivisible, puisque sa violation même partielle me permettait de demander la résiliation de mon contrat".

La Cour d'appel avait relevé la contradiction du bailleur, tantôt prônant l'indivisibilité de sa clause, tantôt sa possible division.

Ceux qui justifient l'indivisibilité de la clause font référence au principe du réputé non écrit du code de la consommation dont les effets sont définis à l'article L.241-1 dudit code : " le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans ses clauses."

Pardon, mais en l'espèce, il ne s'agit pas d'apprécier l'intégralité d'un contrat, mais l'intégralité d'une clause. 

Enfin, la cour de cassation ne peut pas dire que la clause dans son ensemble fausse le jeu de l'article L.145-39 du code de commerce,qui est d'ordre publique, et accepter sa réparation au nom d'une division possible de ses composantes. Le sens de la clause forme un tout, une réalité économique, sociale et même morale. On le prend tel qu'il est ou pas. On ne le déforme pas pour pouvoir le prendre.