lundi 14 août 2023

L' exception d'inexécution invoquée par le locataire, suppose que le local soit inexploitable : impropre à l'usage pour lequel il a été loué.

3e civ., 6 juillet 2023 n° 22-15.923



Preneur – Obligations – Paiement des loyers – Exception
d’inexécution – Réparation incombant au bailleur – Impossibilité
d’utiliser les lieux conformément à la destination du bail –
Recherches nécessaires.
Ne donne pas de base légale à sa décision au regard des articles 1184, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719 du code civil, la cour d’appel qui retient que l’exception d’inexécution opposée par le locataire est justifiée par le manquement du bailleur à une obligation essentielle du bail sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les locaux loués avaient été rendus impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.
 

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 10 mars 2022), le 1er mars 2002, la société civile
immobilière du Pavillon de Flore (la bailleresse) a donné en location à Mme [Z] (la
locataire) un local à usage commercial situé dans un immeuble soumis au statut de la
copropriété.
2. Au motif de divers manquements de la locataire à ses obligations contractuelles, la
bailleresse l’a, le 16 août 2017, assignée en résiliation du bail, expulsion et paiement
d’une indemnité d’occupation.
3. Invoquant l’inexécution par la bailleresse de son obligation de délivrance à raison
d’infiltrations d’eau dans les locaux loués, la locataire a conclu au rejet des demandes
dirigées contre elle et a reconventionnellement sollicité l’autorisation de procéder à la
consignation des loyers.
Sur le moyen du pourvoi incident
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas
lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La bailleresse fait grief à l’arrêt de dire n’y avoir lieu à prononcer la résiliation du
bail, de la débouter de ses prétentions tendant à voir ordonner l’expulsion de la lo-
cataire et fixer l’indemnité d’occupation et d’ordonner la consignation du montant
des loyers, alors « que le non-respect de ses obligations par le bailleur ne dispense le
locataire de remplir les siennes que lorsque ce manquement rend impossible la jouis-
sance des lieux loués ; qu’en affirmant, pour décider que Mme [Z] était fondée à se
prévaloir de l’exception d’inexécution et à retenir les loyers, qu’il existe des infiltra-
tions affectant le local loué et concernant le clos et le couvert, qu’il a laissé perdurer
des désordres sans demander de travaux à la copropriété, qu’il refuse de laisser réaliser
des travaux par la copropriété, et qu’il a manqué à une obligation essentielle du bail de
procéder aux réparations exigées par l’état des lieux et de garantir la jouissance d’un
local conforme à celui loué, la cour d’appel qui n’a pas recherché, ainsi qu’elle y était
invitée, si le manquement du bailleur à ses obligations rendait impossible la jouissance
des lieux, a violé l’article 1728 du code civil, ensemble les articles 1134 et 1184 du
code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 16 février 2016. »
 

Réponse de la Cour
Vu les articles 1184, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, la condition résolutoire est toujours sous-en-
tendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne
satisfera point à son engagement.
7. Selon le second, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit
besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée, d’en-
tretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire
jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
8. Pour rejeter les demandes de la bailleresse et ordonner la consignation des loyers,
l’arrêt [attaqué] retient que, peu important que l’exploitation ne soit pas totalement impossible,
l’exception d’inexécution est justifiée par le manquement du bailleur à une obligation
essentielle du bail.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les infil-
trations alléguées avaient rendu les locaux loués impropres à l’usage auquel ils étaient
destinés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur
l’autre grief du pourvoi principal, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 mars 2022, entre
les parties, par la cour d’appel de Douai ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les
renvoie devant la cour d’appel de Douai, autrement composée

Observations
L'exception d'inexécution est une arme redoutable tant pour celui qui l'utilise que pour celui qui la subit.
Elle est invoquée et pratiquée en dehors de toute décision par le locataire qui ainsi, se fait justice à lui-même. Telle est la raison pour laquelle s'il souhaite user de cette exception, il doit bien réfléchir et se poser la question si le local est matériellement exploitable ou non malgré les manquements du bailleur.
Une solution intéressante parce que rapide, et préalable à toute initiative : l'action en référé (voir d'heure à heure) pour demander la consignation totale ou partielle des loyers devant un trouble manifestement illicite. Bien évidemment, il est indispensable d'envoyer au bailleur une ou deux mises en demeure RAR avec des photos et d'autres pièces justifiant de l'ampleur des conséquences de l'inexécution alléguée et même avec un constat d'huissier, et justifier de leur réception, avant toute action en justice.