lundi 27 mars 2023

Un aspect du pouvoir des indivisaires : l'acte conservatoire pouvant par définition être régularisé ou exercé seul par un indivisaire

 

 Cass. 3ème civ., 8 décembre 2004 n° 03-17.902

 

Article 815-2 du code civil

version en vigueur depuis le 1er janvier 2007

  "Tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence.

Il peut employer à cet effet les fonds de l'indivision détenus par lui et il est réputé en avoir la libre disposition à l'égard des tiers.

A défaut de fonds de l'indivision, il peut obliger ses coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires.

Lorsque des biens indivis sont grevés d'un usufruit, ces pouvoirs sont opposables à l'usufruitier dans la mesure où celui-ci est tenu des réparations."

Dans cette affaire,  les héritiers d'un commerçant se voient délivrer un congé avec refus de renouvellement. Le tribunal le valide et déclare les héritiers occupants sans droit ni titre.

L'un des indivisaires fait appel et la Cour juge que "la mise en œuvre d'une action en appel n'est pas une mesure nécessaire ) à la conservation des biens indivis mais un acte d'administration".

La Cour de Cassation casse péremptoirement l'arrêt de la Cour d'appel dans les termes suivants : "Qu'en statuant ainsi, alors que l'appel d'un jugement déclarant valable un congé et ordonnant une expulsion constitue un acte conservatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé."

 Cet arrêt est d'autant plus intéressant qu'il statue sous l'empire de la version de l'article 815-2 du code civil, antérieure à sa modification entrant en vigueur le 1er janvier 2007 version qui croit devoir préciser que pour agir de manière conservatoire, l'urgence de la mesure n'est pas requise. La version antérieure quant à elle, n'avait pas cette précision ce qui paradoxalement avait permis à la jurisprudence d'ajouter cette condition d'urgence ou de péril, que la loi ne contenait pas.

Dans cet arrêt, la cour de cassation ne parle ni d'urgence, ni de péril, ni d'imminence d'un dommage...sans doute parce que l'appel est par nature un acte conservatoire. Cette qualification était souvent employée dans ma jeunesse d'avocat. On disait au client qu'un appel à titre conservatoire allait être régularisé par l'avoué, lorsque la cause n'était pas évidente...justement parce que l'on pouvait s'en désister tant que l'on avait pas conclu, ce qui nous permettait de négocier ou de réfléchir aux chances de succès dudit appel.

Par essence, aujourd'hui un appel interjeté peut être stoppé seul par l'appelant, tant qu'il n'a pas conclu au fond dans le délai de trois mois. Par ailleurs, j'ai vu récemment des appels interjetés qui se sont retrouvés mis à néant par ordonnance de la Cour, simplement parce que l'appelant n'avait pas conclu dans le délai de trois mois.

L'on voit bien qu'un acte - la déclaration d'appel- "aussi fragile", peut permettre de conserver une situation, en l’occurrence éviter l'écoulement d'un délai rapide capable de figer en principe définitivement une situation préjudiciable à l'ensemble des indivisaires. 

Citons Christian ATTIAS qui dans son excellent livre "L'indivision" paru chez Edilaix ed. de sept. 2008, commente cet arrêt en ces termes : " Un seul indivisaire aurait donc qualité et pouvoir pour saisir la cour d'appel après jugement rendu à l'égard de tous les indivisaires. Toutefois, la qualification ne devrait valoir que pour l'acte d'appel; le délai à respecter peut lui conférer un caractère conservatoire. Il n'en est pas de même pour la poursuite de l'instance d'appel". Effectivement il faut voir ensuite l'objet de l'action en cause pour apprécier le nombre des participants à la poursuite dudit l'appel.

En conclusion, on fait appel et l'on conserve la situation. L'on discute posément ensuite.

 

samedi 25 mars 2023

DROIT DE REPENTIR - Sa mise en échec par ce qui est assimilé au départ du locataire : les démarches irréversibles

Vous souhaitez une consultation sur les démarches irréversibles du locataire qui rendent inopérant le droit de repentir du bailleur ? Exposez-moi votre problème, documents ou non à l'appui. Après acceptation de mon devis, je répondrai à vos questions.


 

 


mardi 14 mars 2023

Pour mémoire...le mémoire n'interrompt la presciption que devant le Président du Tribunal ou le juge des loyers !

 

Cass. 3e civ 25 janvier 2023 n° 21-20.009

DECRYPTAGE

 

Le mémoire – son rôle interruptif de prescription.

 

Dans cette affaire, le 19 septembre 2013, une bailleresse fait délivrer par huissier de justice, à sa locataire, un congé avec offre de renouvellement, à effet du 1er avril 2014 et propose un nouveau loyer.

Le 21 mai 2014, la locataire exprime par acte d’huissier, son accord sur le principe du renouvellement, son désaccord sur le prix proposé et opère une contre-proposition.

Le 30 mars 2016, la bailleresse notifie son mémoire à sa locataire en vue d’obtenir évidemment le loyer qu’elle souhaite.

Le 4 octobre 2016 la locataire notifie son mémoire en réponse.

On s’attend donc à ce que le juge des loyers soit saisi.

Or la bailleresse assigne sa locataire, le 14 mars 2018 devant le TGI en validation du congé et accessoirement en fixation du loyer.

Le Tribunal déclare prescrite l’action de la bailleresse.

La bailleresse fait appel et demande à ce qu’il soit jugé que :

-          Le congé du 19 septembre 2013 est valable et qu’il doit produire ses effets ;

-         Le bail s’est renouvelé à compter du 1er avril 2014, aux clauses et conditions du bail expiré, à la seule exception du loyer minimum garanti.

La bailleresse demande également la fixation d’un prix d’un nouveau loyer et subsidiairement la désignation d’un expert pour déterminer les loyer minimum garanti selon la valeur locative.

 

La locataire demande la confirmation du jugement entrepris et de déclarer en conséquences les demandes irrecevables car prescrites et subsidiairement :

-          de juger que le bail est renouvelé pour une durée de 12 années à effet du 1er avril 2014 aux mêmes clauses et conditions,

-          de juger que la bailleresse « ne peut demander la modification du loyer de base en dehors des termes de 12 années contractuellement stipulés au bail »,

-        et plus subsidiairement elle offre un prix de loyer…évidemment inférieur à celui demandé par la bailleresse.

Quels sont les moyens qui, selon la Cour d’appel ont été exposés par l’appelante pour contrer le jugement ?

1.     La prescription de l’action en fixation du prix du bail renouvelé a pour point de départ, le jour de la prise d’effet du nouveau bail. Donc il faut prendre en compte la date du 1er avril 2014 comme point de départ de cette prescription.

2.     En application de l’article 33 du décret du 30 septembre 1953, la notification du mémoire le 30 mars 2016 a interrompu la prescription de l’action en fixation du prix du nouveau loyer et à cette date un nouveau délai de deux ans a commencé à courir s’achevant le 30 mars 2018. Dès lors, l’assignation ayant été délivrée le 14 mars 2018, son action n’était pas prescrite.

3.   Pour la bailleresse, elle avait présenté une demande de validité des effets du congé avec offre de renouvellement qui servait d’appui à sa demande en fixation du loyer et que ces demandes tendaient vers un seul et même but ; elle reproche aussi à sa locataire sa déloyauté : d’avoir attendu de déposer son mémoire en réplique le 4 octobre 2016 pour remettre en cause « les effets de validité du congé ce qui l’a contrainte à saisir le Tribunal de grande instance (et non le juge des loyers).

Quelles sont les réponses de l’intimée reprises par la Cour d’appel ?

Le mémoire tel que visé à l’article R.145-23 du code de commerce et à l’art. 33 du décret de 1953, n’est pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil. Il n’a de caractère interruptif que s’il s’inscrit dans une procédure de fixation ou de révision du loyer d’un bail commercial devant le président du tribunal de grande instance statuant en qualité de juge des loyers commerciaux (juge maintenu aujourd’hui au sein du tribunal judiciaire.) et que l’article 33 s’inscrit une procédure spécifique et il « n’a pas vocation à s’appliquer devant le tribunal de grande instance, juge de droit commun des baux commerciaux devant lequel seules les causes d’interruption de droit commun son applicables…(et donc « sous entendu » la délivrance de l’assignation…)….dès lors que le point de départ de l’action en fixation du prix du nouveau bail était le 1er avril 2014 et que seule la délivrance d’une assignation pour interrompre la prescription, celle du 14 mars 2018 était tardive.

SUR CE : la cour rappelle les stipulations des article 33 et 29 du décret de 1953 et que les stipulations de l’article 29 ont été insérées dans l’article R145-23 du code de commerce. Elle souligne que la procédure en fixation du prix du bail renouvelé est une procédure spéciale sur mémoire qui rend spécialement compétent le juge des loyer, c’est-à-dire le président du tribunal de grande instance et que le TGI (aujourd’hui le TJ) peut agir comme juge des loyers dès lors que la demande en fixation du prix du bail est une demande ACCESSOIRE.

Elle accepte ensuite l’argumentation de la locataire :

1.     Le mémoire préalable n’est pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil, puisqu’il n’a pas pour effet de saisir une juridiction ;

2.     S’il interrompt la prescription c’est uniquement dans le cadre de l’article 33 du décret de 1953 article dédié à la procédure spéciale devant le juge des loyers commerciaux…

3.     Dès lors qu’il est rédigé dans le cadre d’une procédure devant le TGI (TJ) il perd sa vocation d’effet interruptif….d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire devant le TGI pour exprimer accessoirement une demande en fixation du prix du bail.

Reprenant les dates ci-dessus, elle conclut que l’assignation a été délivrée tardivement car « le mémoire préalable notifié par le bailleur n’a pas d’effet interruptif de prescription dès lors qu’il n’a pas été suivi d’une saisine du juge des loyers commerciaux et le mémoire en réponse du preneur notifié le 4 octobre 2016, qui n’est pas un acte de procédure, n’a pas davantage pu interrompre la prescription. »

 On relèvera également que la Cour a considéré – c’est mon interprétation- que tant qu’à rédiger un mémoire pour faire fixer un nouveau loyer, il fallait assigner devant le juge des loyers commerciaux quitte ayant saisi le tribunal pour un problème d’interprétation d’une clause du contrat, demander au juge des loyers de surseoir à statue.

Et la cour de confirmer le jugement entrepris.

La bailleresse se pourvoit en cassation.

Pour elle, la notification du mémoire « doit être regardée comme la formation d’une prétention ayant vocation d’être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les parties, c’est-à-dire comme l’exercice d’une action en justice par la formation d’une demande en justice ». Elle ajoute que l’article 33, lorsqu’il dit que le mémoire interrompt la prescription, ne distingue pas entre les actions et vise « toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d’un bail commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction – juge des loyers commerciaux ou juridiction de droit commun-devant laquelle est ensuite portée l’action ». Effectivement le principe selon lequel il ne faut pas ajouter à la loi une ou des conditions qu’elle ne contient pas est souvent utilisé par la Cour de cassation pour statuer.

Elle ajoute que le mémoire concerne toutes les actions en fixation du prix du bail renouvelé, qu’elles soient principales ou accessoires.

Enfin elle soutient que finalement, en faisant la preuve de sa volonté de voir prospérer ses prétentions par la délivrance de ce mémoire elle n’était pas concernée par la nature de la prescription qui est la sanction de l’inaction selon l’article 2219 du code civil et que par conséquent le fait que le mémoire ne soit pas prévu devant le TGI (TJ) n’entrave en rien son effet interruptif.

 

En fait la question posée à la Cour de cassation était : le mémoire est-il autonome par rapport à la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ?

 

Que répond la Cour à ce pourvoi ?

 

Avec les règles du code civil relatives avec la prescription nous sommes dans le droit commun et les causes d’interruption de la prescription sont énumérées de manière limitative.

L’article 33 du décret de 1953 qui fait de la notification du mémoire une cause interruptive est donc quant à lui un texte à part. Il est instauré par l’article R.145-23 du code de commerce et cet article érige le mémoire en vecteur procédural devant le président du tribunal ou le juge des loyers qui le remplace pour la fixation du prix du loyer du bail renouvelé (ou révisé)…le TGI (TJ) quant à lui ne statuant que dans les autres cas.

C’est pourquoi le mémoire n’interrompt la prescription que pour répondre aux nécessités de la procédure pour les besoins de laquelle il a été spécialement institué.

Ce n’est pas parce que le TGI (TJ) peut statuer à titre accessoire sur la fixation du prix du loyer du bail renouvelé, que le mémoire peut être utilisé devant lui…qui doit se voir saisi selon sa propre procédure qui n’est pas celle à utiliser devant le juge des loyers…et donc le mémoire préalable n’est pas vis-à-vis de cette juridiction de droit commun la cause interruptive de prescription de droit commun.

La cour de cassation impose donc une sorte de parallélisme des formes : face à une procédure de droit commun on interrompt la prescription avec les causes de droit commun…