Cass. 3e civ 25 janvier 2023 n° 21-20.009
DECRYPTAGE
Le mémoire – son rôle
interruptif de prescription.
Dans cette affaire, le 19 septembre
2013, une bailleresse fait délivrer par huissier de justice, à sa locataire, un
congé avec offre de renouvellement, à effet du 1er avril 2014 et
propose un nouveau loyer.
Le 21 mai 2014, la locataire
exprime par acte d’huissier, son accord sur le principe du renouvellement, son
désaccord sur le prix proposé et opère une contre-proposition.
Le 30 mars 2016, la bailleresse
notifie son mémoire à sa locataire en vue d’obtenir évidemment le loyer qu’elle
souhaite.
Le 4 octobre 2016 la locataire
notifie son mémoire en réponse.
On s’attend donc à ce que le juge
des loyers soit saisi.
Or la bailleresse assigne sa
locataire, le 14 mars 2018 devant le TGI en validation du congé et
accessoirement en fixation du loyer.
Le Tribunal déclare prescrite l’action de la bailleresse.
La bailleresse fait appel et
demande à ce qu’il soit jugé que :
-
Le congé du 19 septembre 2013 est valable et qu’il
doit produire ses effets ;
- Le bail s’est renouvelé à compter du 1er
avril 2014, aux clauses et conditions du bail expiré, à la seule exception du
loyer minimum garanti.
La bailleresse demande également
la fixation d’un prix d’un nouveau loyer et subsidiairement la désignation d’un
expert pour déterminer les loyer minimum garanti selon la valeur locative.
La locataire demande la
confirmation du jugement entrepris et de déclarer en conséquences les demandes
irrecevables car prescrites et subsidiairement :
-
de juger que le bail est renouvelé pour une durée
de 12 années à effet du 1er avril 2014 aux mêmes clauses et
conditions,
-
de juger que la bailleresse « ne peut
demander la modification du loyer de base en dehors des termes de 12 années contractuellement
stipulés au bail »,
- et plus subsidiairement elle offre un prix de
loyer…évidemment inférieur à celui demandé par la bailleresse.
Quels sont les
moyens qui, selon la Cour d’appel ont été exposés par l’appelante pour contrer
le jugement ?
1. La
prescription de l’action en fixation du prix du bail renouvelé a pour point de
départ, le jour de la prise d’effet du nouveau bail. Donc il faut prendre en
compte la date du 1er avril 2014 comme point de départ de cette prescription.
2. En
application de l’article 33 du décret du 30 septembre 1953, la notification du
mémoire le 30 mars 2016 a interrompu la prescription de l’action en fixation du
prix du nouveau loyer et à cette date un nouveau délai de deux ans a commencé à
courir s’achevant le 30 mars 2018. Dès lors, l’assignation ayant été délivrée
le 14 mars 2018, son action n’était pas prescrite.
3. Pour la
bailleresse, elle avait présenté une demande de validité des effets du congé
avec offre de renouvellement qui servait d’appui à sa demande en fixation du
loyer et que ces demandes tendaient vers un seul et même but ; elle
reproche aussi à sa locataire sa déloyauté : d’avoir attendu de déposer
son mémoire en réplique le 4 octobre 2016 pour remettre en cause « les
effets de validité du congé ce qui l’a contrainte à saisir le Tribunal de
grande instance (et non le juge des loyers).
Quelles sont
les réponses de l’intimée reprises par la Cour d’appel ?
Le mémoire tel que visé à l’article
R.145-23 du code de commerce et à l’art. 33 du décret de 1953, n’est pas une
demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil. Il n’a de caractère
interruptif que s’il s’inscrit dans une procédure de fixation ou de révision du
loyer d’un bail commercial devant le président du tribunal de grande instance
statuant en qualité de juge des loyers commerciaux (juge
maintenu aujourd’hui au sein du tribunal judiciaire.) et que l’article
33 s’inscrit une procédure spécifique et il « n’a pas vocation à s’appliquer
devant le tribunal de grande instance, juge de droit commun des baux
commerciaux devant lequel seules les causes d’interruption de droit commun son
applicables…(et donc « sous entendu » la
délivrance de l’assignation…)….dès lors que le point de départ de l’action
en fixation du prix du nouveau bail était le 1er avril 2014 et que
seule la délivrance d’une assignation pour interrompre la prescription, celle
du 14 mars 2018 était tardive.
SUR CE : la cour rappelle les stipulations des article 33 et 29 du décret de
1953 et que les stipulations de l’article 29 ont été insérées dans l’article
R145-23 du code de commerce. Elle souligne que la procédure en fixation du prix
du bail renouvelé est une procédure spéciale sur mémoire qui rend spécialement
compétent le juge des loyer, c’est-à-dire le président du tribunal de grande
instance et que le TGI (aujourd’hui le TJ) peut agir comme juge des loyers dès
lors que la demande en fixation du prix du bail est une demande ACCESSOIRE.
Elle accepte ensuite l’argumentation de la locataire :
1. Le mémoire
préalable n’est pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code
civil, puisqu’il n’a pas pour effet de saisir une
juridiction ;
2. S’il
interrompt la prescription c’est uniquement dans le cadre de l’article 33 du
décret de 1953 article dédié à la procédure spéciale devant le juge des loyers
commerciaux…
3. Dès lors
qu’il est rédigé dans le cadre d’une procédure devant le TGI (TJ) il perd sa
vocation d’effet interruptif….d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire devant
le TGI pour exprimer accessoirement une demande en fixation du prix du bail.
Reprenant les dates ci-dessus,
elle conclut que l’assignation a été délivrée tardivement car « le mémoire
préalable notifié par le bailleur n’a pas d’effet interruptif de prescription
dès lors qu’il n’a pas été suivi d’une saisine du juge des loyers commerciaux
et le mémoire en réponse du preneur notifié le 4 octobre 2016, qui n’est pas un
acte de procédure, n’a pas davantage pu interrompre la prescription. »
On relèvera également que la Cour
a considéré – c’est mon interprétation- que tant qu’à
rédiger un mémoire pour faire fixer un nouveau loyer, il fallait assigner
devant le juge des loyers commerciaux quitte ayant saisi le tribunal pour un
problème d’interprétation d’une clause du contrat, demander au juge des loyers
de surseoir à statue.
Et la cour de confirmer le
jugement entrepris.
La bailleresse se pourvoit en
cassation.
Pour elle, la notification du
mémoire « doit être regardée comme la formation d’une prétention ayant
vocation d’être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les
parties, c’est-à-dire comme l’exercice d’une action en justice par la formation
d’une demande en justice ». Elle ajoute que l’article 33, lorsqu’il dit
que le mémoire interrompt la prescription, ne distingue pas entre les actions
et vise « toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d’un bail
commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction – juge des loyers
commerciaux ou juridiction de droit commun-devant laquelle est ensuite portée
l’action ». Effectivement le principe selon
lequel il ne faut pas ajouter à la loi une ou des conditions qu’elle ne
contient pas est souvent utilisé par la Cour de cassation pour statuer.
Elle ajoute que le mémoire
concerne toutes les actions en fixation du prix du bail renouvelé, qu’elles
soient principales ou accessoires.
Enfin elle soutient que
finalement, en faisant la preuve de sa volonté de voir prospérer ses prétentions
par la délivrance de ce mémoire elle n’était pas concernée par la nature de la
prescription qui est la sanction de l’inaction selon l’article 2219 du code
civil et que par conséquent le fait que le mémoire ne soit pas prévu devant le
TGI (TJ) n’entrave en rien son effet interruptif.
En fait la
question posée à la Cour de cassation était : le mémoire est-il autonome
par rapport à la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ?
Que répond la Cour à ce pourvoi ?
Avec les règles du
code civil relatives avec la prescription nous sommes dans le droit commun et les
causes d’interruption de la prescription sont énumérées de manière limitative.
L’article 33 du
décret de 1953 qui fait de la notification du mémoire une cause interruptive est
donc quant à lui un texte à part. Il est instauré par l’article R.145-23 du
code de commerce et cet article érige le mémoire en vecteur procédural devant
le président du tribunal ou le juge des loyers qui le remplace pour la fixation
du prix du loyer du bail renouvelé (ou révisé)…le TGI (TJ) quant à lui ne statuant que
dans les autres cas.
C’est pourquoi le
mémoire n’interrompt la prescription que pour répondre aux nécessités de la
procédure pour les besoins de laquelle il a été spécialement institué.
Ce n’est pas parce
que le TGI (TJ) peut statuer à titre accessoire sur la fixation du prix du loyer du
bail renouvelé, que le mémoire peut être utilisé devant lui…qui doit se voir
saisi selon sa propre procédure qui n’est pas celle à utiliser devant le juge
des loyers…et donc le mémoire préalable n’est pas vis-à-vis de cette
juridiction de droit commun la cause interruptive de prescription de droit
commun.
La cour de
cassation impose donc une sorte de parallélisme des formes : face à une
procédure de droit commun on interrompt la prescription avec les causes de
droit commun…