jeudi 23 avril 2020

Fixation du loyer en renouvellement : la notion de modification notable des quatre premiers éléments de la valeur locative


La notion de modification notable retenue par la jurisprudence.


Contexte

Lorsque l’une des parties prétend au renouvellement du bail, soit parce qu’elle l’offre, soit parce qu’elle le demande et qu’elle l’a obtenu, il devient nécessaire de fixer le nouveau montant du loyer.

Selon l’article L.145-33 du code de commerce, « le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative ».

Disons-le tout net : le principe est, que la valeur locative ne va s’appliquer qu’à certaines conditions et le principe devient, pour parler rapidement, la règle du plafonnement de l’augmentation du loyer  :

« A moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L.145-33 » le loyer est plafonné (L.145-34).

Valeur locative oui, mais seulement si certains éléments qui la composent ont varié de manière notable durant le cours du bail expiré.

Rappelons les éléments 1° à 4° de l’article L. 145-33 qui sont là pour suppléer la volonté des parties (« A défaut d’accord ») :

1° Les caractéristiques du local considéré ;
2° La destination des lieux ;
3° Les obligations respectives des parties ;
4° Les facteurs locaux de commercialité.


Le 5ème élément, « les prix couramment pratiqués dans le voisinage », est hors champ de la caméra.


 
Selon la loi la modification de ces quatre éléments doit être notable.


Tout d’abord cette notion de modification notable est laissée par la Cour de cassation à l’appréciation souveraine des juges du fond[1]. En d’autres termes, la Cour suprême ne contrôlera pas la qualification des faits qui permettra d’aboutir ou non, à retenir le caractère notable de la modification.


Pour parler sans détour, cette absence de contrôle est le signe que cette notion, « notable », possède des critères variés, qui sont propres à chaque dossier et donc difficilement systématisables.

Ceci étant, ces critères devront faire l’objet d’une constatation précise de la part des juges du fond qui ne pourront pas se contenter de se référer sans précision au rapport de l’expert judiciaire[2].


La notion de modification est quant à elle un peu plus précise.

-        Pour pouvoir être prise en compte modification doit avoir présenté un intérêt pour le commerce considéré ;
-        Elle doit avoir eu une incidence favorable.

L’intérêt pour le commerce considéré

La recherche de ce critère : elle est un préalable indispensable au déplafonnement[3].

Cet intérêt pour le commerce considéré s’applique à l’ensemble des éléments qui composent la valeur locative, mais cette notion a donné lieu à une littérature abondante concernant les fameux « facteurs locaux de commercialité » et cela se comprend à la lecture de l’article R.145-6 qui stipule :

« Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire ».

Il est intéressant de noter des exemples de modifications notables sans retentissement positif sur le commerce considéré[4]. Typique est l’exemple où l’expert relève au cours du bail expiré, d’importantes constructions d’habitation et de bureaux, dans le quartier où se trouve le commerce, un restaurant en l’espèce, au cours du bail expiré. La Cour d’appel, confirmant le jugement relève :

« Considérant que le premier juge a rappelé, à juste raison, qu’il incombait à Mme M….bailleresse, en application des articles L 145-33 et L 145-34 du code de commerce, d’administrer la preuve d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité et d’un effet bénéfique de ces modifications sur le commerce considéré ; que cette preuve n’est pas rapportée alors que [le locataire] justifie de son côté, du caractère gastronomique de son restaurant fréquenté par une clientèle d’amateurs qui ne correspond, en tous cas, pas exclusivement ou majoritairement à une clientèle de quartier ainsi qu’il résulte notamment du signalement de on restaurant dans divers guides touristiques et des nombreuses factures qu’il produit d’une clientèle d’affaires extérieure au quartier… »[5].

Un autre exemple typique :

« Considérant sur la modification des facteurs locaux de commercialité, que la [bailleresse] n’indique pas en quoi une augmentation globale de la population sur la commune de Trifouilli les Oies (…) la réalisation de 212 permis de construire (…) et une augmentation de 50 % du trafic routier pendant la même époque auraient eu une influence notable sur le commerce du preneur… »[6]


Bien qu’il y ait eu une jurisprudence contraire, abandonnée, si influence il doit y avoir, il est nécessaire qu’elle soit favorable au commerce considéré.

L’incidence favorable de la modification notable.

Cette incidence concerne chacun des quatre éléments de la valeur locative[7] et par voie de conséquence également les facteurs locaux de commercialité[8].

On peut citer deux exemples récents où les juges du fond rejettent les prétentions du bailleur pour absence de modification notable favorable au preneur, des facteurs locaux de commercialité[9].


Que se passe-t-il si au cours du bail expiré, le loyer s’est vu déjà réévalué, à cause d’une révision triennale ou de la prise en compte d’une extension de la surface des locaux ?

Dans cette hypothèse, le loyer n’est pas automatiquement plafonné, et la révision triennale n’a pas à être prise en compte[10] ; il en est de même pour l’augmentation du loyer, ou le versement d’un capital, qui sont le résultat d’un accord, à la suite d’une augmentation de la surface du local[11].

Dans son manuel[12] Monsieur BLATTER analyse ces solutions de la façon suivante :

« En effet, l’application du plafonnement perdrait toute valeur économique s’il était appliqué à un loyer d’origine dont la base serait différente de celle du dernier loyer applicable, par suite d’une majoration conventionnelle du loyer en cours de bail, sauf à considérer que les parties ont entendu limiter à la seule période contractuelle en cours leur convention relative au loyer ce qui est peu concevable, sauf clause expresse du contrat ».


[1] Cass. 3e civ., 22 janvier 1992 n°90-13587 + Cass. 3e civ., 2 déc. 1998 n° 97-12138.

[2] Cass. 3e.civ., 6 nov. 2001 n° 00-13836.
[3] Cass. 3e civ., 4 mars 1987 n° 85-16563.
[4] CA PARIS 16è A, 25 octobre 2006, 05/25218 Lamyline.
[5] CA PARIS 16è B, 7 juin 2007, 06/11148.
[6] CA PARIS 16 B, 17 janvier 2008 06/19271.
[7] Cass. 3e civ., 9 juillet 2008 n° 07-16605.
[8] Cass. 3e civ., 13 juillet 2011 n° 10-30825 + Cass ; 3e civ., 14 sept. 2011 n° 10-30825 + Cass. 3e civ., 12 mai 2016 n° 15-13929.
[9] CA VERSAILLES 12e ch., 15 janv. 2019 RG n° 18/00595 + CA ROUEN, Ch. de proximité 19 déc. 2019 RG n° 18/05069.
[10] CA PARIS 16è A, 9 avril 1991.
[11] Cass. 3e civ., 14 mai 1997 n° 95-15144.
[12] Ed. LE MONITEUR Traité des baux commerciaux 6ème édition § 995.

samedi 18 avril 2020

L'immatriculation et la revendication de l'application du statut : article précédent complété


L’intérêt de l’immatriculation

Elle est pour le preneur, la clef lui permettant de demander le bénéfice du statut lorsqu'il est titulaire d'un bail commercial, ou de faire admettre la requalification du contrat pour obtenir le bénéfice du statut des baux commerciaux.

Dès lors, le renouvellement du bail, pierre angulaire de l’édifice statutaire, est soumis à cette immatriculation, qu’il soit demandé ou offert (même plusieurs années à l’avance)[1].

Mais d’une manière générale, le locataire doit être immatriculé, dès lors qu’il sollicite l’application du statut et pas exclusivement le renouvellement de son bail[2].


Qui doit être immatriculé ?

-          Le locataire commerçant ;

-          L’indivisaire qui exploite le fonds ;

-          Les époux coexploitants ;

-          Le nu-propriétaire même non-exploitant[3] ;

-          L’héritier d’un locataire qui n’avait pas l’obligation de s’immatriculer ;

-          L’exploitant d’un établissement secondaire[4] même si son établissement principal est immatriculé. Attention cependant à ce qu’un local accessoire (qui n’est pas un établissement secondaire et comme tel n’a pas à être immatriculé) ne devienne pas « en cours de route » un établissement secondaire (en venant à recevoir de la clientèle) (cf. Traité des baux commerciaux de M. J-P Blatter Ed. le Moniteur).


Quand le locataire doit-il être immatriculé ?

Dans mon précédent article cette partie était intitulé : le locataire doit-il être immatriculé à tout moment et effectivement cette question ne se posait que lorsqu'un bail commercial était conclu dès le départ, sans aucune autre problématique. 
Mais au cours de mes recherches, effectivement, me sont apparues des questions connexes m'obligeant à élargir ma question d'origine.

Il y a en fait deux cas de figure à envisager : soit le bail d'origine est un bail commercial, et ce que j'ai écrit précédemment, s'applique à cette hypothèse (I.), soit le bail d'origine n'est pas un bail commercial (II.).


I.- Hypothèse de la conclusion d'un bail commercial, dès l'origine.
L'immatriculation dès l'origine du locataire n'est pas obligatoire.

Il se déduit de l’exigence l’égale et jurisprudentielle que c’est donc à la date où demande de renouvellement[5] et congé avec offre de renouvellement sont régularisés que l’immatriculation est fondamentale[6].

Par ailleurs, durant le temps où le fonds est le cas échéant en location-gérance, le l’unique locataire principal, ou les membres de l’indivision locataire principale, n’ont pas à s’immatriculer pour bénéficier du droit au renouvellement (Code. Com. L.145-1 II.). Attention donc pour le ou les locataire(s), à ne pas faire cesser la location gérance, sans que le locataire principal ou l’un des membres de l’indivision ne s’immatricule au jour de la cessation de la location-gérance et exploite les lieux effectivement, ou bien sans que le ou les héritiers ai(en)t demandé, le maintien de l’immatriculation du de cujus (L.145-1 III § 2).

En cas de copreneurs ou de locataires indivis, seul doit être immatriculé, l’exploitant du fonds, les autres n’ont pas à l’être (L. 145-1 III § 1er.), sauf en cas de démembrement entre un usufruitier et un nu-propriétaire : même si le nu-propriétaire n’exploite pas le fonds, il doit être immatriculé sous la dénomination propriétaire non exploitant (cf. supra).

Dans l’hypothèse visée par l’article L. 145-1 III § 2, savoir le maintien de l’immatriculation du prédécédé, il convient de se reporter en pratique à l’article R. 123-46 du code de commerce qui prévoit que le décès de la personne immatriculée doit faire l’objet d’une déclaration rectificative du RCS « avec possibilité de déclarer le maintien provisoire, pendant un délai maximum d’un an, de l’immatriculation. »

Quelques cas où l’absence d’immatriculation est admise par la jurisprudence

Le cédant d’un fonds peut ne pas être immatriculé au moment de la cession, ce que le bailleur ne peut lui reprocher[7]

Le bail est expiré, le locataire se fait radier et se maintient dans les lieux en attendant la fixation en justice de l’indemnité d’éviction…le bailleur ne peut lui opposer la déchéance du droit à l’indemnité d’éviction et donc le bénéfice du statut[8].

De même, le bail expiré pour cause de renouvellement et une instance étant en cours pour fixer le nouveau loyer, le bailleur ne peut exciper d’un défaut d’immatriculation postérieur à l’expiration du bail précédent[9].


Qu’entraîne le défaut d’immatriculation ?

Une déchéance du droit au renouvellement et à l’indemnité d’éviction. Plus généralement l’impossibilité pour le locataire de se prévaloir d’un seul « avantage » du statut.


Comment le bailleur peut-il mettre en œuvre cette déchéance ?

Il doit faire délivrer un congé motivé portant refus de renouvellement et de paiement de l’indemnité d’éviction.

S’agissant du défaut d’immatriculation, le congé n’a pas à être précédé d’une mise en demeure enjoignant au locataire à mettre fin à l’infraction.

Le bailleur peut dénier le droit au renouvellement tant qu’une décision définitive sur l’indemnité d’éviction n’a pas été rendue[10]


Le ou les locataires peuvent-ils remédier à cette déchéance ?

Ils peuvent l’éviter ainsi qu’il l’a été dit plus haut, mais ne peuvent y remédier lorsque la non-immatriculation « est acquise ».


Le ou les locataires non-exploitants pourraient-ils avancer, qu’après avoir fait cesser la location-gérance, des obstacles matériels se sont dressés les empêchant de remettre les lieux en location-gérance ?

Selon la jurisprudence, il semble que non.
Selon moi rien ne les empêche en effet de s’immatriculer (tous ou l’un d’entre eux selon la situation de l’indivision) pour palier à l’absence de locataire gérant, quitte ensuite à arguer de difficultés pour exercer dans les lieux.


II. Le bail d'origine n'est pas un bail commercial.

 
Dans cette hypothèse, le locataire va demander le bénéfice du statut des baux commerciaux en passant par la requalification du bail d'origine.

Si le bail d'origine est un bail dérogatoire qui se transforme en un bail commercial par le seul effet de l'article L. 145-5, le locataire étant obligé de demander au juge de valider cette transformation parce que le bailleur la lui dénie, son immatriculation eu RCS ou au répertoire des métiers n'est pas obligatoire, tout simplement parce que ce serait ajouter à la loi que d'imposer une telle condition que la loi ne contient pas :  c'est le sens du contenu de l'arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2018 n° 17-26126 P+B+I.

Par contre si le bail d'origine est autre, et que le statut est revendiqué, alors l'immatriculation est obligatoire au moment où ledit statut est revendiqué. C'est le sens de deux décisions toujours de la 3ème chambre civile : 22 janvier 2014 n°  12-26179 et 18 juin 2014 n° 12-20714.


En conclusion, il semble que la revendication quelle qu'en soit le moment, du bénéfice du statut des baux commerciaux, soit le générateur de l'exigence de l'immatriculation au RCS ou au répertoire des métiers, avec cette nuance apportée par le contenu de l'article L145-5 concernant le passage du bail dérogatoire en bail commercial dont on remarquera qu'il est un effet de la loi et qu'il n'est donc pas revendiqué.




 La jurisprudence est disponible sur simple demande.
Eric DESLANDES

Avocat au Barreau de Paris

Prestation de serment du 
16 janvier 1987

8 rue des Saints Pères

75007 PARIS

Tél. 06 83 89 91 40

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[1] C. Cass. 3ème civ., 1er oct. 1997 n° 95-15842
[2] C. Cass. 3ème civ., 7 juillet 2015 n° 13-23671
[3] C. Cass. 3ème civ., 5 mars 2008 n°05-20200
[4] C. Cass. 3ème civ., 7 nov. 2001 n° 00-12453
[5] C. Cass. 3ème civ., 25 oct. 1983 n° 81-14926
[6] C. Cass. 3ème civ., 1er juin 2010 n° 08-21795
[7] C. Cass. 3ème civ., 1er fév. 1995 n° 93-12537
[8] C. Cass. 3ème civ., 29 sept. 2004 n° 03-13997
[9] C. Cass. 3ème civ., 18 mai 2005 n° 04-11985
[10] C. Cass. 3ème civ., 7 sept. 2017 n° 16-15012