mardi 14 novembre 2023

La clause résolutoire définitivement acquise et le caractère inopérant de la mauvaise foi lors de sa mise en oeuvre...

 Cass. 3ème civ., 26 octobre 2023 n° 22-16216 B


C. com. L. 145-41 :" Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge."

Dans cette affaire le juge des référés octroie des délais de paiement de 24 mois à un locataire et suspend les effets de la clause résolutoire dans des termes tout à fait classiques. Son ordonnance devient évidemment définitive, le locataire ayant eu gain de cause.

Tout le monde connait les sanctions qui s'attachent au non respect des délais accordés.

Le locataire ne respecte pas les délais, et il lui reste donc un solde locatif à payer. Il est expulsé sur le fondement de ces manquements dans l'exécution des prescriptions de l'ordonnance.

Le locataire attaque l'expulsion et se plaint auprès de la justice qu'au jour de son expulsion il ne devait plus qu'une somme minime au regard de sa dette de départ qui était élevée, et que de plus il avait, à un moment donné, payé plus rapidement que prévu une grande partie de sa dette.

Il en conclut que le bailleur l'a expulsé à tort en faisant jouer la clause résolutoire de mauvaise foi.

La Cour d'appel lui donne raison, mais son arrêt est réformé par la Cour de Cassation.

Au regard de l'article 145-41 du code de commerce il n'y a, si l'ordonnance de référé définitive n'a pas été respectée à la lettre par le locataire, plus de possibilité pour le locataire d'invoquer la mauvaise foi du bailleur. Le bailleur peut exécuter sans crainte ladite ordonnance et procéder à l'expulsion du locataire, devenu occupant sans droit ni titre.

Observations: bien évidemment tout cela sous réserve de la réalité de la non-exécution complète de l'ordonnance. Cette décision ne se comprends que si l'on retient que le locataire avait obtenu ses délais de paiement qu'il avait demandés, sans soulever la mauvaise foi existante lors de la délivrance du commandement. On peut y voir une renonciation à invoquer la mauvaise foi. Le locataire se trouve dans la même position que le bailleur qui, connaissant l'infraction du locataire renouvelle le bail : il ne peut plus invoquer cette infraction. Là le locataire demande des délais en premier lieu, il ne peut plus se prévaloir d'un vice de fond du commandement en ayant implicitement renoncé à l'invoquer, "vice de fond" que constitue la mauvaise foi. On suppose qu'il connaissait ou était sensé connaître les raisons de la mauvaise foi.

Il n'y a donc place pour la mauvaise foi du bailleur en matière de clause résolutoire, qu'avant toute demande de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire de la part du locataire.


mardi 31 octobre 2023

Un aspect de l'expertise judiciaire, souvent ordonnée en matière de baux commerciaux

 

LE DIRE AU COURS DE L’EXPERTISE

EN PROCÉDURE CIVILE

 

Par Maître Eric DESLANDES, Avocat au Barreau de Paris.

 

Le dire est le vecteur principal par lequel l’avocat d’une partie s’exprime auprès de l’expert judiciaire et à ce titre, est un élément important de ce temps décisif constitué par les opérations d’expertise.

J’ai voulu illustrer mes modestes propos par des décisions en vous rapportant ce que les magistrats du fond sont, au quotidien, amenés à considérer à propos des dires, tant sur leur contenu, que sur leur communication tardive ou absente. Cette volonté de rapporter des informations pratiques vise bien évidemment à compenser l’aridité formelle de la reprise obligatoire des dispositions légales.

 

*

*        *

 

I.- DÉFINITION ET CONTENU

 C’est le moyen par lequel une partie fait connaître à l’expert ses « observations » et/ou ses « réclamations ». Il n’est pas obligatoirement écrit, cependant il est tel, la majorité des cas, ne serait-ce que pour se ménager la preuve que son contenu a été communiqué à l’expert, l’obligeant alors à « le prendre en considération ».

Tel est ce que nous dit l’article 276 du CPC.

L’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

On relève aussi le verbe : devoir. Ce qui n’empêche pas l’expert de commenter l’observation d’une partie par :

« bonne note a été prise de ces observations dans le rapport »

ou

« ce point n’appelle pas de commentaire de la part de l’expert ».

Intellectuellement, le dire doit constituer « un véritable apport à la réflexion de l’expert » et être essentiellement consacré « à des observations ou des à des suggestions de nature à enrichir le champ de la recherche technique entreprise »[1].

Les juges du fond sont évidemment attentifs à la reprise (ou simple prise en considération) par l’expert des observations des parties[2] puisqu’il s’agit pour eux de justifier que le principe du contradictoire, dont ils sont les gardiens, a été respecté[3].

Evidemment, l’expert ne prendra en compte que les dires des parties et non des tiers[4].

Si les avocats ne manquent pas de protester quand l’expert « fait du droit », eux-mêmes doivent « nécessairement s’abstenir de développements d’ordre juridique dont l’appréciation ressort de la compétence exclusive du juge »[5], ce qui n’empêchera pas l’expert de réaliser des constatations matérielles dans un contrat par exemple, ou de proposer l’imputation d’une responsabilité sur la base de constatations techniques[6].

 

Le dire récapitulatif

C’est l’alinéa 3 de l’article 276 du CPC qui en fait mention :

Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut elles sont réputées abandonnées par les parties.

Ainsi que le font remarquer à juste titre les auteurs du GUIDE PRATIQUE DE L’EXPERTISE, « Les observations sont celles qui sont adressées à l’expert à l’issue de la diffusion de la note synthèse préalable au dépôt du rapport et que consacrent désormais pratiquement toutes les conventions intervenues entre les cours d’appel, les barreaux et les compagnies d’experts. »

Pour éviter les répliques infinies les auteurs de ce guide encouragent les experts à :

·       imposer aux parties une date limite pour déposer leur dernier dire ;

·       rappeler aux parties que les dires et observations récapitulatives « ne sont pas destinés à organiser un débat entre avocats ».

 

II.- LA PLACE DU DIRE AU COURS DE L’EXPERTISE

 

A.- Soumission aux délais

 

a. Le tempo de l’expertise est imposé par l’expert sous la surveillance du tribunal – art. 276 § 2 du CPC

Les parties ne doivent pas confondre débat judiciaire et débat(s) technique(s) conditionnant le débat judiciaire. L’expert va donc fixer des délais, et agir un peu comme un juge de la mise en état, pour l’échange des dires.

« …lorsque l’expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n’est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge. »

 Hypothèse où une partie adresse son dire en dernier jour.

On en trouve une illustration dans un arrêt. Evidemment, la partie adverse est hors délai lorsqu’elle adresse son dire réponse cinq jours plus tard. La Cour rejette la nullité, non sans rappeler les règles qui gouvernent la nullité d’une expertise (nécessité d’un grief)[7][8], en indiquant que le demandeur à la nullité n’invoque aucune cause grave l’ayant empêché de déposer son dire avant la date limite fixée par l’expert qui n’avait donc pas l’obligation de l’accepter. Même si en l’espèce la décision (cf. note n° 7) ne précise pas la teneur de chacun des dires, la cour le relève que la partie qui s’est plainte, avait déjà adressé deux dires et que le débat central (bateau vendu neuf alors qu’il était d’occasion, avec des vices le rendant impropre à un usage normal) avait déjà été traité.

L’article 276 § 2 laisse place à l’imagination de l’expert afin qu’il puisse lutter contre le dilatoire qui nuit à son travail et à la Justice.

Les experts peuvent donc prendre en compte les dires hors délais s’ils ont été provoqués par un dire adverse en dernier jour…même si l’essentiel de l’expertise a pu être déjà joué, a fortiori si l’adversaire qui a provoqué le retard de l’autre a relancé les opérations en limite de délai. Là-dessus les expert ont toute latitude.

Lorsque l’expert fixera une date limite pour que les parties déposent leur dernier dire après sa note de synthèse encore appelée pré-rapport, bien évidemment le délai expirera le jour que qu’il aura fixé à minuit.

L’annexion du dire au rapport ne suffit pas. Si donc le délai est respecté il est de l’obligation de l’expert d’apporter une suite à ce dire (le juges mentionnent volontiers l’expression « obligation d’y répondre »), sinon il s’expose à ce que la nullité de son rapport soit prononcée au cas où la réclamation dont il n’a pas tenu compte pouvait orienter le « résultat » de l’expertise, même si l’expert a annexé cette réclamation à son rapport.[9]

 

b. Le juge n’aime pas le dilatoire

 

Il appartient à chaque partie d’anticiper et d’agir, surtout après le pré-rapport : « La demande initiale de X… visait l'installation de gaz et le local chaufferie, le dysfonctionnement de la VMC, la non-conformité de l'installation électrique et l'enlèvement du gravier dans la cour intérieure.

A… a déposé son pré-rapport le 20 novembre 2020 et n'a reçu aucun dire de la part de X…, pas plus qu'il a été interrogé sur une extension de sa mission.

De plus, l'expert a précisé, dans une réponse au dire de Me M (avocat de l'EURL www Immobilier) qu'il ne sollicitait aucune extension de mission.

X… produit aux débats un constat d'huissier de Me C en date du 6 novembre 2020, des photographies, un rapport d'expertise KSD qui établissent l'existence de fissures.

Il ne justifie cependant pas de l'état du bien sur ces faits au jour de l'achat en 2015.

La demande d'extension de la mission de l'expert n'est donc pas suffisamment étayée.

De plus elle est tardive et ne ferait que retarder le dépôt du rapport.

X… doit donc être débouté.

L'ordonnance entreprise sera confirmée. » [10]

 

c. Le tempo de l’expert

Il n’est pas évidemment obligé de « prendre en considération » immédiatement les dires contenant des observations. Différents sont les dires contenant des réclamations, qui généralement doivent être traités à réception et à chaque fois sa réponse devra, évidemment être motivée.

 

B.- Le respect du contradictoire.

 

Les opérations d’expertise doivent donc être contradictoires…L’expert devra convoquer toutes les parties, adresser ses notes…à toutes les parties, vérifier que les pièces versées durant ses opérations ont été reçues par toutes les parties et qu’elles ont donc été à même d’être débattues.

Si tout s’est bien passé on retrouvera souvent dans les décisions le passage suivant : « La cour observe à titre préliminaire que l'ensemble des argumentations des parties a été soumis aux contradictoire des investigations de l'expertise judiciaire dont la validité n'est pas remise en cause, notamment l'ensemble des dires transmis à l'expert par chacune des parties qui sont retranscrits dans le rapport déposé.

Le rapport de l'expert propose des réponses circonstanciées et argumentées aux discussions des parties et aux derniers dires à la suite de l'envoi du pré-rapport, notamment sur etc. »[11]

De même on pourra lire dans la décision :

« (…) le rapport d'expertise judiciaire Y… est contradictoire à l'égard de toutes les parties qui ont été mises en situation de formuler tous dires utiles à la suite du pré-rapport que leur avait adressé expert. »

ou bien encore, dans la même décision :

« Il est dès lors retenu que X…, qui n'a d'ailleurs formalisé aucun dire sur ce point précis à la suite de l'envoi du pré-rapport, n'apporte pas d'éléments suffisants pour contredire l'avis [de l’expert Y] concernant spécialement la consolidation du 12 novembre 2012. »[12] 

 

Pourtant, si vous estimez que tout ne s’est pas formellement bien passé durant l’expertise et que cette irrégularité a porté préjudice à votre client[13], rappelez-vous que devant le juge, votre demande de nullité doit être selon l’article 112 du code de procédure civile, soulevée avant de débattre du fond du rapport sous peine de l’avoir couverte[14].

J’espère vous avoir objectivement et en pratique, éclairé sur les questions principales entourant le dire. Mes remerciements aux Editions LAMY, à LEXTENSO et à LEGIFRANCE.



[1] Guide pratique de l’expertise de Justice Lauvin J. Caron J.-C. MAI 2021

[2] CA TOULOUSE 2ème chambre 17 mars 2021 RG 12/01525 « Il sera toutefois observé que l'expert a pris soin dans son rapport, de reprendre les avis circonstanciés de chacune des parties, et en particulier celui de la société X de la page 101 à la page 111, les nombreux dires des parties, par lesquels elles se rejetaient la responsabilité, ayant en conséquence été contradictoirement débattus durant les opérations d'expertise. »

 [3] Art. 16 du code de procédure civile.

[4] CA DOUAI 1ère ch. section 1 du 15/11/2018 RG n° 17/04985.

[5] Le guide de l’expertise judiciaire cf. note de bas de page n° 1

[6] CA TOULOUSE cf. supra 17 mars 2021 : « La cour suivra les conclusions de l'expert en ce qu'il propose de retenir la responsabilité la société Y non pas pour ne pas avoir prévu un cablage en dur, mais pour avoir rendu cette manipulation accessible au niveau opérateur, alors qu'elle était susceptible d'entrainer un dépassement du différentiel de pression maximum prescrit par le constructeur et devait être utilisé à titre exceptionnel, et dans des conditions particulières, ce qui aurait du la conduire à ne permettre ce forçage qu'en mode régleur(…)

L'expert a considéré que la responsabilité de la survenance du sinistre devait être imputée pour partie et secondairement, à la société SEPOC qui aurait pu et du, dans la cadre de sa mission de vérification de la conformité technique des études vis à vis des engagements contractuels etc. »

[7] « Les irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise sont sanctionnées par les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile, qui renvoie aux règles régissant les nullités des actes de procédure.

Il en résulte qu'il appartient à celui qui invoque l'inobservation d'une formalité substantielle, sanctionnée par une nullité pour vice de forme, de démontrer l'existence d'un grief causé par l'irrégularité qu'il invoque. » CA REIMS, 1ère Chambre section civile 15/12/2020 RG n° 19/02334, cf. également CA NANCY 20/10/2019 RG 18/01378. Voir également 3ème civ. 25/05/1976, n° 75-10.259, publié au bull.

 [8] CA FORT DE FRANCE, Ch. civile, 08 mars 2022 RG n° 20/00513.

[9] CA PARIS, Pôle 2 ch. 5, 05/09/2017 n° 16/12701.

[10] CA GRENOBLE 2ème ch. 12 avril 2022, RG n° 21/02988.

[11] CA MONTPELLIER 04/01/2022 RG n° 18/05663.

[12] CA AMIENS 1ère ch. civ, 11/01/2022 RG n° 20/03115.

[13] Cass. 3e civ., 03/10/1991 n°89-12.943 Bull civ III n° 227 ; Cass. 3e civ., 25/05/1976 n° 75-10.259 Bull. civ. III n° 228

[14] Cass. soc., 18/02/1981 n° 79-41.043 à 79-41.049, Bull. civ. V, n° 135.

lundi 14 août 2023

L' exception d'inexécution invoquée par le locataire, suppose que le local soit inexploitable : impropre à l'usage pour lequel il a été loué.

3e civ., 6 juillet 2023 n° 22-15.923



Preneur – Obligations – Paiement des loyers – Exception
d’inexécution – Réparation incombant au bailleur – Impossibilité
d’utiliser les lieux conformément à la destination du bail –
Recherches nécessaires.
Ne donne pas de base légale à sa décision au regard des articles 1184, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719 du code civil, la cour d’appel qui retient que l’exception d’inexécution opposée par le locataire est justifiée par le manquement du bailleur à une obligation essentielle du bail sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les locaux loués avaient été rendus impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.
 

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 10 mars 2022), le 1er mars 2002, la société civile
immobilière du Pavillon de Flore (la bailleresse) a donné en location à Mme [Z] (la
locataire) un local à usage commercial situé dans un immeuble soumis au statut de la
copropriété.
2. Au motif de divers manquements de la locataire à ses obligations contractuelles, la
bailleresse l’a, le 16 août 2017, assignée en résiliation du bail, expulsion et paiement
d’une indemnité d’occupation.
3. Invoquant l’inexécution par la bailleresse de son obligation de délivrance à raison
d’infiltrations d’eau dans les locaux loués, la locataire a conclu au rejet des demandes
dirigées contre elle et a reconventionnellement sollicité l’autorisation de procéder à la
consignation des loyers.
Sur le moyen du pourvoi incident
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas
lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La bailleresse fait grief à l’arrêt de dire n’y avoir lieu à prononcer la résiliation du
bail, de la débouter de ses prétentions tendant à voir ordonner l’expulsion de la lo-
cataire et fixer l’indemnité d’occupation et d’ordonner la consignation du montant
des loyers, alors « que le non-respect de ses obligations par le bailleur ne dispense le
locataire de remplir les siennes que lorsque ce manquement rend impossible la jouis-
sance des lieux loués ; qu’en affirmant, pour décider que Mme [Z] était fondée à se
prévaloir de l’exception d’inexécution et à retenir les loyers, qu’il existe des infiltra-
tions affectant le local loué et concernant le clos et le couvert, qu’il a laissé perdurer
des désordres sans demander de travaux à la copropriété, qu’il refuse de laisser réaliser
des travaux par la copropriété, et qu’il a manqué à une obligation essentielle du bail de
procéder aux réparations exigées par l’état des lieux et de garantir la jouissance d’un
local conforme à celui loué, la cour d’appel qui n’a pas recherché, ainsi qu’elle y était
invitée, si le manquement du bailleur à ses obligations rendait impossible la jouissance
des lieux, a violé l’article 1728 du code civil, ensemble les articles 1134 et 1184 du
code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 16 février 2016. »
 

Réponse de la Cour
Vu les articles 1184, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, la condition résolutoire est toujours sous-en-
tendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne
satisfera point à son engagement.
7. Selon le second, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit
besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée, d’en-
tretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire
jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
8. Pour rejeter les demandes de la bailleresse et ordonner la consignation des loyers,
l’arrêt [attaqué] retient que, peu important que l’exploitation ne soit pas totalement impossible,
l’exception d’inexécution est justifiée par le manquement du bailleur à une obligation
essentielle du bail.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les infil-
trations alléguées avaient rendu les locaux loués impropres à l’usage auquel ils étaient
destinés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur
l’autre grief du pourvoi principal, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 mars 2022, entre
les parties, par la cour d’appel de Douai ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les
renvoie devant la cour d’appel de Douai, autrement composée

Observations
L'exception d'inexécution est une arme redoutable tant pour celui qui l'utilise que pour celui qui la subit.
Elle est invoquée et pratiquée en dehors de toute décision par le locataire qui ainsi, se fait justice à lui-même. Telle est la raison pour laquelle s'il souhaite user de cette exception, il doit bien réfléchir et se poser la question si le local est matériellement exploitable ou non malgré les manquements du bailleur.
Une solution intéressante parce que rapide, et préalable à toute initiative : l'action en référé (voir d'heure à heure) pour demander la consignation totale ou partielle des loyers devant un trouble manifestement illicite. Bien évidemment, il est indispensable d'envoyer au bailleur une ou deux mises en demeure RAR avec des photos et d'autres pièces justifiant de l'ampleur des conséquences de l'inexécution alléguée et même avec un constat d'huissier, et justifier de leur réception, avant toute action en justice.

lundi 27 mars 2023

Un aspect du pouvoir des indivisaires : l'acte conservatoire pouvant par définition être régularisé ou exercé seul par un indivisaire

 

 Cass. 3ème civ., 8 décembre 2004 n° 03-17.902

 

Article 815-2 du code civil

version en vigueur depuis le 1er janvier 2007

  "Tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence.

Il peut employer à cet effet les fonds de l'indivision détenus par lui et il est réputé en avoir la libre disposition à l'égard des tiers.

A défaut de fonds de l'indivision, il peut obliger ses coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires.

Lorsque des biens indivis sont grevés d'un usufruit, ces pouvoirs sont opposables à l'usufruitier dans la mesure où celui-ci est tenu des réparations."

Dans cette affaire,  les héritiers d'un commerçant se voient délivrer un congé avec refus de renouvellement. Le tribunal le valide et déclare les héritiers occupants sans droit ni titre.

L'un des indivisaires fait appel et la Cour juge que "la mise en œuvre d'une action en appel n'est pas une mesure nécessaire ) à la conservation des biens indivis mais un acte d'administration".

La Cour de Cassation casse péremptoirement l'arrêt de la Cour d'appel dans les termes suivants : "Qu'en statuant ainsi, alors que l'appel d'un jugement déclarant valable un congé et ordonnant une expulsion constitue un acte conservatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé."

 Cet arrêt est d'autant plus intéressant qu'il statue sous l'empire de la version de l'article 815-2 du code civil, antérieure à sa modification entrant en vigueur le 1er janvier 2007 version qui croit devoir préciser que pour agir de manière conservatoire, l'urgence de la mesure n'est pas requise. La version antérieure quant à elle, n'avait pas cette précision ce qui paradoxalement avait permis à la jurisprudence d'ajouter cette condition d'urgence ou de péril, que la loi ne contenait pas.

Dans cet arrêt, la cour de cassation ne parle ni d'urgence, ni de péril, ni d'imminence d'un dommage...sans doute parce que l'appel est par nature un acte conservatoire. Cette qualification était souvent employée dans ma jeunesse d'avocat. On disait au client qu'un appel à titre conservatoire allait être régularisé par l'avoué, lorsque la cause n'était pas évidente...justement parce que l'on pouvait s'en désister tant que l'on avait pas conclu, ce qui nous permettait de négocier ou de réfléchir aux chances de succès dudit appel.

Par essence, aujourd'hui un appel interjeté peut être stoppé seul par l'appelant, tant qu'il n'a pas conclu au fond dans le délai de trois mois. Par ailleurs, j'ai vu récemment des appels interjetés qui se sont retrouvés mis à néant par ordonnance de la Cour, simplement parce que l'appelant n'avait pas conclu dans le délai de trois mois.

L'on voit bien qu'un acte - la déclaration d'appel- "aussi fragile", peut permettre de conserver une situation, en l’occurrence éviter l'écoulement d'un délai rapide capable de figer en principe définitivement une situation préjudiciable à l'ensemble des indivisaires. 

Citons Christian ATTIAS qui dans son excellent livre "L'indivision" paru chez Edilaix ed. de sept. 2008, commente cet arrêt en ces termes : " Un seul indivisaire aurait donc qualité et pouvoir pour saisir la cour d'appel après jugement rendu à l'égard de tous les indivisaires. Toutefois, la qualification ne devrait valoir que pour l'acte d'appel; le délai à respecter peut lui conférer un caractère conservatoire. Il n'en est pas de même pour la poursuite de l'instance d'appel". Effectivement il faut voir ensuite l'objet de l'action en cause pour apprécier le nombre des participants à la poursuite dudit l'appel.

En conclusion, on fait appel et l'on conserve la situation. L'on discute posément ensuite.

 

samedi 25 mars 2023

DROIT DE REPENTIR - Sa mise en échec par ce qui est assimilé au départ du locataire : les démarches irréversibles

Vous souhaitez une consultation sur les démarches irréversibles du locataire qui rendent inopérant le droit de repentir du bailleur ? Exposez-moi votre problème, documents ou non à l'appui. Après acceptation de mon devis, je répondrai à vos questions.


 

 


mardi 14 mars 2023

Pour mémoire...le mémoire n'interrompt la presciption que devant le Président du Tribunal ou le juge des loyers !

 

Cass. 3e civ 25 janvier 2023 n° 21-20.009

DECRYPTAGE

 

Le mémoire – son rôle interruptif de prescription.

 

Dans cette affaire, le 19 septembre 2013, une bailleresse fait délivrer par huissier de justice, à sa locataire, un congé avec offre de renouvellement, à effet du 1er avril 2014 et propose un nouveau loyer.

Le 21 mai 2014, la locataire exprime par acte d’huissier, son accord sur le principe du renouvellement, son désaccord sur le prix proposé et opère une contre-proposition.

Le 30 mars 2016, la bailleresse notifie son mémoire à sa locataire en vue d’obtenir évidemment le loyer qu’elle souhaite.

Le 4 octobre 2016 la locataire notifie son mémoire en réponse.

On s’attend donc à ce que le juge des loyers soit saisi.

Or la bailleresse assigne sa locataire, le 14 mars 2018 devant le TGI en validation du congé et accessoirement en fixation du loyer.

Le Tribunal déclare prescrite l’action de la bailleresse.

La bailleresse fait appel et demande à ce qu’il soit jugé que :

-          Le congé du 19 septembre 2013 est valable et qu’il doit produire ses effets ;

-         Le bail s’est renouvelé à compter du 1er avril 2014, aux clauses et conditions du bail expiré, à la seule exception du loyer minimum garanti.

La bailleresse demande également la fixation d’un prix d’un nouveau loyer et subsidiairement la désignation d’un expert pour déterminer les loyer minimum garanti selon la valeur locative.

 

La locataire demande la confirmation du jugement entrepris et de déclarer en conséquences les demandes irrecevables car prescrites et subsidiairement :

-          de juger que le bail est renouvelé pour une durée de 12 années à effet du 1er avril 2014 aux mêmes clauses et conditions,

-          de juger que la bailleresse « ne peut demander la modification du loyer de base en dehors des termes de 12 années contractuellement stipulés au bail »,

-        et plus subsidiairement elle offre un prix de loyer…évidemment inférieur à celui demandé par la bailleresse.

Quels sont les moyens qui, selon la Cour d’appel ont été exposés par l’appelante pour contrer le jugement ?

1.     La prescription de l’action en fixation du prix du bail renouvelé a pour point de départ, le jour de la prise d’effet du nouveau bail. Donc il faut prendre en compte la date du 1er avril 2014 comme point de départ de cette prescription.

2.     En application de l’article 33 du décret du 30 septembre 1953, la notification du mémoire le 30 mars 2016 a interrompu la prescription de l’action en fixation du prix du nouveau loyer et à cette date un nouveau délai de deux ans a commencé à courir s’achevant le 30 mars 2018. Dès lors, l’assignation ayant été délivrée le 14 mars 2018, son action n’était pas prescrite.

3.   Pour la bailleresse, elle avait présenté une demande de validité des effets du congé avec offre de renouvellement qui servait d’appui à sa demande en fixation du loyer et que ces demandes tendaient vers un seul et même but ; elle reproche aussi à sa locataire sa déloyauté : d’avoir attendu de déposer son mémoire en réplique le 4 octobre 2016 pour remettre en cause « les effets de validité du congé ce qui l’a contrainte à saisir le Tribunal de grande instance (et non le juge des loyers).

Quelles sont les réponses de l’intimée reprises par la Cour d’appel ?

Le mémoire tel que visé à l’article R.145-23 du code de commerce et à l’art. 33 du décret de 1953, n’est pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil. Il n’a de caractère interruptif que s’il s’inscrit dans une procédure de fixation ou de révision du loyer d’un bail commercial devant le président du tribunal de grande instance statuant en qualité de juge des loyers commerciaux (juge maintenu aujourd’hui au sein du tribunal judiciaire.) et que l’article 33 s’inscrit une procédure spécifique et il « n’a pas vocation à s’appliquer devant le tribunal de grande instance, juge de droit commun des baux commerciaux devant lequel seules les causes d’interruption de droit commun son applicables…(et donc « sous entendu » la délivrance de l’assignation…)….dès lors que le point de départ de l’action en fixation du prix du nouveau bail était le 1er avril 2014 et que seule la délivrance d’une assignation pour interrompre la prescription, celle du 14 mars 2018 était tardive.

SUR CE : la cour rappelle les stipulations des article 33 et 29 du décret de 1953 et que les stipulations de l’article 29 ont été insérées dans l’article R145-23 du code de commerce. Elle souligne que la procédure en fixation du prix du bail renouvelé est une procédure spéciale sur mémoire qui rend spécialement compétent le juge des loyer, c’est-à-dire le président du tribunal de grande instance et que le TGI (aujourd’hui le TJ) peut agir comme juge des loyers dès lors que la demande en fixation du prix du bail est une demande ACCESSOIRE.

Elle accepte ensuite l’argumentation de la locataire :

1.     Le mémoire préalable n’est pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil, puisqu’il n’a pas pour effet de saisir une juridiction ;

2.     S’il interrompt la prescription c’est uniquement dans le cadre de l’article 33 du décret de 1953 article dédié à la procédure spéciale devant le juge des loyers commerciaux…

3.     Dès lors qu’il est rédigé dans le cadre d’une procédure devant le TGI (TJ) il perd sa vocation d’effet interruptif….d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire devant le TGI pour exprimer accessoirement une demande en fixation du prix du bail.

Reprenant les dates ci-dessus, elle conclut que l’assignation a été délivrée tardivement car « le mémoire préalable notifié par le bailleur n’a pas d’effet interruptif de prescription dès lors qu’il n’a pas été suivi d’une saisine du juge des loyers commerciaux et le mémoire en réponse du preneur notifié le 4 octobre 2016, qui n’est pas un acte de procédure, n’a pas davantage pu interrompre la prescription. »

 On relèvera également que la Cour a considéré – c’est mon interprétation- que tant qu’à rédiger un mémoire pour faire fixer un nouveau loyer, il fallait assigner devant le juge des loyers commerciaux quitte ayant saisi le tribunal pour un problème d’interprétation d’une clause du contrat, demander au juge des loyers de surseoir à statue.

Et la cour de confirmer le jugement entrepris.

La bailleresse se pourvoit en cassation.

Pour elle, la notification du mémoire « doit être regardée comme la formation d’une prétention ayant vocation d’être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les parties, c’est-à-dire comme l’exercice d’une action en justice par la formation d’une demande en justice ». Elle ajoute que l’article 33, lorsqu’il dit que le mémoire interrompt la prescription, ne distingue pas entre les actions et vise « toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d’un bail commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction – juge des loyers commerciaux ou juridiction de droit commun-devant laquelle est ensuite portée l’action ». Effectivement le principe selon lequel il ne faut pas ajouter à la loi une ou des conditions qu’elle ne contient pas est souvent utilisé par la Cour de cassation pour statuer.

Elle ajoute que le mémoire concerne toutes les actions en fixation du prix du bail renouvelé, qu’elles soient principales ou accessoires.

Enfin elle soutient que finalement, en faisant la preuve de sa volonté de voir prospérer ses prétentions par la délivrance de ce mémoire elle n’était pas concernée par la nature de la prescription qui est la sanction de l’inaction selon l’article 2219 du code civil et que par conséquent le fait que le mémoire ne soit pas prévu devant le TGI (TJ) n’entrave en rien son effet interruptif.

 

En fait la question posée à la Cour de cassation était : le mémoire est-il autonome par rapport à la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ?

 

Que répond la Cour à ce pourvoi ?

 

Avec les règles du code civil relatives avec la prescription nous sommes dans le droit commun et les causes d’interruption de la prescription sont énumérées de manière limitative.

L’article 33 du décret de 1953 qui fait de la notification du mémoire une cause interruptive est donc quant à lui un texte à part. Il est instauré par l’article R.145-23 du code de commerce et cet article érige le mémoire en vecteur procédural devant le président du tribunal ou le juge des loyers qui le remplace pour la fixation du prix du loyer du bail renouvelé (ou révisé)…le TGI (TJ) quant à lui ne statuant que dans les autres cas.

C’est pourquoi le mémoire n’interrompt la prescription que pour répondre aux nécessités de la procédure pour les besoins de laquelle il a été spécialement institué.

Ce n’est pas parce que le TGI (TJ) peut statuer à titre accessoire sur la fixation du prix du loyer du bail renouvelé, que le mémoire peut être utilisé devant lui…qui doit se voir saisi selon sa propre procédure qui n’est pas celle à utiliser devant le juge des loyers…et donc le mémoire préalable n’est pas vis-à-vis de cette juridiction de droit commun la cause interruptive de prescription de droit commun.

La cour de cassation impose donc une sorte de parallélisme des formes : face à une procédure de droit commun on interrompt la prescription avec les causes de droit commun…