LE
DIRE AU COURS DE L’EXPERTISE
EN
PROCÉDURE CIVILE
Par Maître Eric
DESLANDES, Avocat au Barreau de Paris.
Le dire est le vecteur principal par
lequel l’avocat d’une partie s’exprime auprès de l’expert judiciaire et à ce
titre, est un élément important de ce temps décisif constitué par les opérations
d’expertise.
J’ai voulu illustrer mes modestes
propos par des décisions en vous rapportant ce que les magistrats du fond sont,
au quotidien, amenés à considérer à propos des dires, tant sur leur contenu,
que sur leur communication tardive ou absente. Cette volonté de
rapporter des informations pratiques vise bien évidemment à compenser l’aridité
formelle de la reprise obligatoire des dispositions légales.
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I.- DÉFINITION ET CONTENU
C’est le moyen par lequel une
partie fait connaître à l’expert ses « observations » et/ou ses
« réclamations ». Il n’est pas obligatoirement écrit, cependant il
est tel, la majorité des cas, ne serait-ce que pour se ménager la preuve que
son contenu a été communiqué à l’expert, l’obligeant alors à « le prendre
en considération ».
Tel est ce que nous dit l’article
276 du CPC.
L’expert doit prendre en
considération les observations ou réclamations des parties, et lorsqu’elles
sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
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On relève aussi le verbe : devoir.
Ce qui n’empêche pas l’expert de commenter l’observation d’une partie par :
« bonne note a été prise
de ces observations dans le rapport »
ou
« ce point n’appelle pas
de commentaire de la part de l’expert ».
Intellectuellement, le dire doit
constituer « un véritable apport à la réflexion de l’expert »
et être essentiellement consacré « à des observations ou des à des
suggestions de nature à enrichir le champ de la recherche technique
entreprise ».
Les juges du fond sont évidemment
attentifs à la reprise (ou simple prise en considération) par l’expert des
observations des parties
puisqu’il s’agit pour eux de justifier que le principe du contradictoire, dont
ils sont les gardiens, a été respecté.
Evidemment, l’expert ne prendra
en compte que les dires des parties et non des tiers.
Si les avocats ne manquent pas de
protester quand l’expert « fait du droit », eux-mêmes doivent « nécessairement
s’abstenir de développements d’ordre juridique dont l’appréciation ressort de
la compétence exclusive du juge »,
ce qui n’empêchera pas l’expert de réaliser des constatations matérielles dans
un contrat par exemple, ou de proposer l’imputation d’une responsabilité sur la
base de constatations techniques.
Le dire récapitulatif
C’est l’alinéa 3 de l’article 276
du CPC qui en fait mention :
Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou
réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles
qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut elles sont réputées
abandonnées par les parties. Ainsi que le font remarquer à
juste titre les auteurs du GUIDE PRATIQUE DE L’EXPERTISE, « Les
observations sont celles qui sont adressées à l’expert à l’issue de la
diffusion de la note synthèse préalable au dépôt du rapport et que consacrent
désormais pratiquement toutes les conventions intervenues entre les cours
d’appel, les barreaux et les compagnies d’experts. » |
Pour éviter les répliques
infinies les auteurs de ce guide encouragent les experts à :
·
imposer aux parties une date limite pour déposer
leur dernier dire ;
·
rappeler aux parties que les dires et
observations récapitulatives « ne sont pas destinés à organiser un débat
entre avocats ».
II.- LA PLACE DU DIRE AU COURS DE L’EXPERTISE
A.- Soumission aux délais
a. Le tempo de l’expertise est imposé
par l’expert sous la surveillance du tribunal – art. 276 § 2 du CPC
Les parties ne doivent pas
confondre débat judiciaire et débat(s) technique(s) conditionnant le débat
judiciaire. L’expert va donc fixer des délais, et agir un peu comme un juge de
la mise en état, pour l’échange des dires.
« …lorsque l’expert a
fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations,
il n’est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après
l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave dûment justifiée,
auquel cas il en fait rapport au juge. »
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Hypothèse où une partie
adresse son dire en dernier jour.
On en trouve une illustration
dans un arrêt. Evidemment, la partie adverse est hors délai lorsqu’elle adresse
son dire réponse cinq jours plus tard. La Cour rejette la nullité, non sans
rappeler les règles qui gouvernent la nullité d’une expertise (nécessité d’un
grief),
en indiquant que le demandeur à la nullité n’invoque aucune cause grave l’ayant
empêché de déposer son dire avant la date limite fixée par l’expert qui n’avait
donc pas l’obligation de l’accepter. Même si en l’espèce la décision (cf. note
n° 7) ne précise pas la teneur de chacun des dires, la cour le relève que la
partie qui s’est plainte, avait déjà adressé deux dires et que le débat central
(bateau vendu neuf alors qu’il était d’occasion, avec des vices le rendant
impropre à un usage normal) avait déjà été traité.
L’article 276 § 2 laisse place à l’imagination
de l’expert afin qu’il puisse lutter contre le dilatoire qui nuit à son travail
et à la Justice.
Les experts peuvent donc prendre
en compte les dires hors délais s’ils ont été provoqués par un dire adverse en
dernier jour…même si l’essentiel de l’expertise a pu être déjà joué, a fortiori
si l’adversaire qui a provoqué le retard de l’autre a relancé les opérations en
limite de délai. Là-dessus les expert ont toute latitude.
Lorsque l’expert fixera une date
limite pour que les parties déposent leur dernier dire après sa note de
synthèse encore appelée pré-rapport, bien évidemment le délai expirera le jour
que qu’il aura fixé à minuit.
L’annexion du dire au rapport
ne suffit pas. Si donc le délai est respecté il est de l’obligation de
l’expert d’apporter une suite à ce dire (le juges mentionnent volontiers
l’expression « obligation d’y répondre »), sinon il s’expose à ce que
la nullité de son rapport soit prononcée au cas où la réclamation dont il n’a
pas tenu compte pouvait orienter le « résultat » de l’expertise, même
si l’expert a annexé cette réclamation à son rapport.
b. Le juge n’aime pas le
dilatoire
Il appartient à
chaque partie d’anticiper et d’agir, surtout après le pré-rapport : « La
demande initiale de X… visait l'installation de gaz et le local chaufferie, le
dysfonctionnement de la VMC, la non-conformité de l'installation électrique et
l'enlèvement du gravier dans la cour intérieure.
A… a déposé
son pré-rapport le 20 novembre 2020 et n'a reçu aucun dire de la part de X…,
pas plus qu'il a été interrogé sur une extension de sa mission.
De plus,
l'expert a précisé, dans une réponse au dire de Me M (avocat de l'EURL www Immobilier)
qu'il ne sollicitait aucune extension de mission.
X… produit
aux débats un constat d'huissier de Me C en date du 6 novembre 2020, des
photographies, un rapport d'expertise KSD qui établissent l'existence de
fissures.
Il ne
justifie cependant pas de l'état du bien sur ces faits au jour de l'achat en
2015.
La demande
d'extension de la mission de l'expert n'est donc pas suffisamment étayée.
De
plus elle est tardive et ne ferait que retarder le dépôt du rapport.
X… doit donc
être débouté.
L'ordonnance
entreprise sera confirmée. »
c. Le tempo de l’expert
Il n’est pas évidemment obligé de
« prendre en considération » immédiatement les dires contenant
des observations. Différents sont les dires contenant des
réclamations, qui généralement doivent être traités à réception et à chaque
fois sa réponse devra, évidemment être motivée.
B.- Le respect du contradictoire.
Les opérations d’expertise
doivent donc être contradictoires…L’expert devra convoquer toutes les parties,
adresser ses notes…à toutes les parties, vérifier que les pièces versées durant
ses opérations ont été reçues par toutes les parties et qu’elles ont donc été à
même d’être débattues.
Si tout s’est bien passé on
retrouvera souvent dans les décisions le passage suivant : « La
cour observe à titre préliminaire que l'ensemble des argumentations des parties
a été soumis aux contradictoire des investigations de l'expertise judiciaire
dont la validité n'est pas remise en cause, notamment l'ensemble des dires
transmis à l'expert par chacune des parties qui sont retranscrits dans le
rapport déposé.
Le rapport de l'expert propose
des réponses circonstanciées et argumentées aux discussions des parties et aux
derniers dires à la suite de l'envoi du pré-rapport, notamment sur etc. »
De même on pourra lire dans la
décision :
« (…) le rapport
d'expertise judiciaire Y… est contradictoire à l'égard de toutes les parties qui
ont été mises en situation de formuler tous dires utiles à la suite du pré-rapport
que leur avait adressé expert. »
ou bien encore, dans la même
décision :
« Il est dès lors retenu
que X…, qui n'a d'ailleurs formalisé aucun dire sur ce point précis à la suite
de l'envoi du pré-rapport, n'apporte pas d'éléments suffisants pour contredire
l'avis [de l’expert Y] concernant spécialement la consolidation du 12 novembre
2012. »
Pourtant, si vous estimez que
tout ne s’est pas formellement bien passé durant l’expertise et que cette
irrégularité a porté préjudice à votre client,
rappelez-vous que devant le juge, votre demande de nullité doit être selon
l’article 112 du code de procédure civile, soulevée avant de débattre du fond
du rapport sous peine de l’avoir couverte.
J’espère vous avoir objectivement
et en pratique, éclairé sur les questions principales entourant le dire. Mes
remerciements aux Editions LAMY, à LEXTENSO et à LEGIFRANCE.