mercredi 11 septembre 2019

L'OBLIGATION DE DELIVRANCE DU BAILLEUR

Cass. 3e civ. 4 juillet 2019, n° 18-17.107



Art. 1719 du code civil :
Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations.

DANS CETTE AFFAIRE...un hangar est loué à une société de discount à destination de tous commerces ou fonds artisanal.
Cette dernière estimant que les lieux ne peuvent dans leur état,  permettre l'accueil du public, et que leur superficie réelle est inférieure à celle qui était contractuellement indiquée, assigne le bailleur en résiliation du bail et en indemnisation de ses préjudices.
Mais la situation devant les juges du fond et notamment devant la cour d'appel, n'est pas celle escomptée par la locataire et celle que l'on entrevoit, ne serait-ce que par équité, mais surtout par une simple lecture de la jurisprudence bien établie !
Le bail est résilié aux torts DE LA LOCATAIRE.
Quelle a été la motivation des juges du fond ? Pourquoi ont-ils considéré que les travaux de remise en état incombait à la locataire et non au propriétaire ?
 Pour eux:
1°) aucune activité spécifique n'était prévue...et les lieux seraient destinés à une activité différente;
2°) le bail ne stipulait pas expressément que le local devait être aux normes permettant de recevoir du public;
3°) la locataire a accepté de prendre les lieux dans l'état où ils étaient;
4°) elle n'a pas mis en demeure le bailleur de remettre le local aux normes.

La Cour Suprême casse cet arrêt, et heureusement !

Il est consternant, compte tenu de la jurisprudence bien établie, qu'elle soit obligée de rappeler tout d'abord que la clause selon laquelle le locataire prend les lieux en l'état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance.
"La seule chose" qui peut délier le propriétaire des murs de cette obligation, c'est une clause expresse  par laquelle le locataire s'oblige à effectuer des travaux (qui doivent être bien précisés).
La Cour de cassation le rappelle et pour elle, peu importe l'activité antérieure qui a été exercée dans les lieux.

On rappellera simplement que cette clause joue pendant toute la durée du bail.
Mais je sujet est récurrent....j'y reviendrai.



mardi 4 juin 2019

Clause résolutoire : les quelques mots qui peuvent faire la différence.

Cass. 3e civ., 6 sept. 2018 
n° 17-22.767 F-D


Effectivement, ajouter dans le texte de la clause résolutoire, que le bailleur pourra se prévaloir de ses effets, si bon lui semble, est une sage précaution d'autant que cette clause sera également reproduite dans le commandement de payer.


Ainsi, en cas de non régularisation de l’infraction dans le délai d’un mois, la clause ne sera pas automatiquement appliquée.


Mais pourquoi cette remarque au bout du compte, tirée d'une logique juridique évidente ?

Dans cette affaire, un locataire ne paye plus ses loyers. Le bailleur lui délivre donc un commandement de payer visant la clause résolutoire. Le locataire fait opposition audit commandement et demande la nullité du contrat.


Le bailleur, reconventionnellement, demande le paiement des loyers jusqu’à l’échéance triennale et pour le contrer sur ce point, le locataire invoque…l’acquisition de la clause résolutoire, ce qui en l’espèce limite fortement la période débitrice.

La Cour de cassation, va confirmer l’arrêt de la cour qui donnait raison au locataire dans les termes suivants : « Mais attendu que la cour d’appel, qui a retenu, sans dénaturation, que la clause n’était pas stipulée dans l’intérêt exclusif du bailleur, a légalement justifié sa décision ».

La présence de l’expression « si bon semble au bailleur » dans la clause résolutoire reprise dans le commandement, permet au bailleur, de ne pas saisir le juge pour faire constater l’acquisition des effets de cette clause et même en cas de saisine du juge, de se cantonner à ne demander qu’une condamnation (provisionnelle,  lorsqu'elle est demandée en référé) sans solliciter la résiliation du bail.


A contrario, si tant dans la clause que dans le commandement l’expression « si bon semble au bailleur » ne figure pas mais qu’au contraire le bailleur fait part d’une intention certaine de se prévaloir de la clause, le locataire pourra tirer les conséquences de l’acquisition de la clause résolutoire et prendre acte, acquiescer en quelque sorte à la résiliation du bail.


On peut au surplus se poser la question si le commandement ne pouvait pas en quelque sorte rectifier le contenu de la clause résolutoire qui n’aurait pas contenu l’expression « si bon semble au bailleur ».


En d’autres termes le commandement ne pourrait-il pas pallier à la carence de la clause résolutoire en rétablissant pour le bailleur le droit de renoncer à s’en prévaloir ? On peut en douter, dès lors que le commandement vise la clause qui a force obligatoire entre les parties.


En tout état de cause, ce n’est qu’une piste de réflexion, en cas de problème avec la teneur de sa clause résolutoire, le bailleur pourrait se cantonner à solliciter le paiement de sa créance en justice en ayant fait délivrer préalablement la mise en demeure visée à l’article L.145-17 du code de commerce dans la perspective d’un non-renouvellement du bail sans paiement d’une indemnité d’éviction.

dimanche 2 juin 2019

La révision triennale et la présence dans le bail d'une clause d'échelle mobile


TGI PARIS LOYERS COMMERCIAUX 6/10/2011 n°2011-032447
Cass. 3ème civ. 20 mai 2015 n° 13-27.367 publié


Texte en cause : L.145-33, L.145-38 et L.145-39 du code de commerce. 

Soit un bail, assorti d’une clause d’échelle mobile.

Soit une locataire qui souhaite que s'applique la valeur locative supérieure au loyer d'origine mais inférieure au loyer issu de la variation indiciaire.

Soit une bailleresse qui s'appuyant sur le fait que la locataire n’apporte pas la preuve que l’un des deux modes de révision peut conduire au déplafonnement du loyer révisé et que le bail contient une clause d'échelle mobile, demande à ce que celle-ci s'applique pour aboutir finalement à un loyer indexé, supérieur à la valeur locative.

Face à l'absence des conditions de déplafonnement, tant selon L. 145-38 que 39, le tribunal va donner effet au loyer en cours, qui sera le loyer plancher EN RETENANT que le loyer en cours sera le loyer d’origine indexé par le jeu de la clause d'échelle mobile. Il exclura dès lors l'application de la révision triennale.

La même affaire ira jusque devant le Cour de cassation qui dans son arrêt du 20 mai 2015, confirmera la solution donnée par le Tribunal.

Pourtant l'argumentation de la locataire dans son pourvoi était "audible": comment exclure l'application d'un texte d'ordre publique, l'article L.145-38 en l’occurrence ? L'application de ce texte, permettait à la valeur locative située entre le prix plancher et le prix résultant de la variation indiciaire, de s'appliquer, le prix plancher étant celui résultant du loyer d'origine ou celui résultant de la dernière révision triennale amiable ou judiciaire. Dès lors rehausser le prix plancher en appliquant la clause d'indexation, pour le rendre supérieur à celui de la valeur locative, revenait à priver d'effet l'article L.145-38.

mercredi 1 mai 2019

La déchéance du droit au renouvellement peut aussi naître de la nullité du contrat de location-gérance.

Cass. 3e civ., 22 mars 2018,
 n° 17-15.830, F-P+B

Textes du code de commerce : 
L. 144-3 (modifié par ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004):

"Les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance".  
L. 144-10

"Tout contrat de location gérance ou toute autre convention comportant des clauses analogues, consenti par le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ne remplissant pas les conditions  prévues aux articles ci-dessus, est nul. Toutefois les contractants ne peuvent invoquer cette nullité à l'encontre des tiers.
La nullité prévue à l'alinéa précédent entraîne à l'égard des contractants la déchéance des droits qu'ils pouvaient éventuellement tenir des dispositions du chapitre V du présent titre réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d'immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal."

Dans cette affaire...une personne, physique en l’occurrence,  est titulaire d'un fonds de commerce  depuis moins de deux ans et le donne alors en location-gérance.

La bailleresse, c'est à dire, la propriétaire des murs, fait délivrer à sa locataire, deux commandements dans portant refus du droit à renouvellement et refus de payer une indemnité d'éviction, invoquant l'absence d'exploitation du fonds de commerce pendant les deux ans précédent la mise ne location gérance.

La locataire assigne alors en contestation des congés mais le tribunal la déboute de ses demandes et lui refuse dès lors toute indemnité d'éviction.

La Cour d'appel va infirmer ce jugement et décider que les motifs des congés n'étaient pas justifiés et que la bailleresse était tenu au paiement d'une indemnité d'éviction.
Ladite Cour d'appel motive sa décision en retenant que même si la locataire d'origine n'a pas exploité le fonds durant deux ans, cette faute n'a de conséquence qu'entre les parties au contrat de location-gérance et n'entraîne pas ipso facto la nullité dudit contrat, CETTE MÊME FAUTE ne constituant pas dès lors "un motif grave et légitime privatif d'une indemnité d'éviction dès lors que la bailleresse ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle lui cause sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil." 

La Cour suprême ne pouvait que sanctionner une telle erreur dans l'application des textes pourtant clairs, rappelant au passage que les règles de validité du contrat de location-gérance et notamment les conditions tenant au  loueur et la sanction qui les accompagne "n'ont pas pour finalité la protection des intérêts particuliers des parties".

Si les deux ans d'exploitation par le locataire d'origine c'est à dire le propriétaire du fonds (ou de l'établissement artisanal) ne sont pas respectés, les sanctions de l'article L.144-10 du code de commerce s'appliquent :
* le contrat de location gérance est nul;
* le locataire (propriétaire du fonds de commerce ou du fonds artisanal) est déchu des droits qu'il tire du statut des baux commerciaux et notamment du droit au renouvellement de son bail.

La locataire aurait du demander (art. L.144-4 du code de com.) la réduction du délai légal au Président du TGI, par voie de requête, en prouvant qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'exploiter son fonds personnellement ou par l'intermédiaire de proposés, et attendre une décision positive AVANT de conclure son contrat de location-gérance.

mardi 30 avril 2019

Demande de fixation (ou de paiement) d'une indemnité d'occupation, par le bailleur : prescription

Cass. 3ème Civ., 18 janvier 2018 n° 16-27.678 FS-P+B
Sté PACA c/ Sté Parcs Enchères







Cet arrêt nous précise que "le délai de l'action en paiement de l'indemnité d'occupation fondée sur l'article L.145-28 du code de commerce ne peut commencer à courir avant le jour où est définitivement consacré dans son principe, le droit du preneur au bénéfice d'une indemnité d'éviction."

Il s'inscrit dans l'hypothèse où le paiement de l'indemnité d'éviction commence par être refusé par le bailleur à la suite d'un congé portant refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction.

Par contre si l'indemnité d'éviction est offerte, la prescription en paiement de l'indemnité d'occupation court à compter de la date d'expiration du bail.

Bailleurs, exprimez-vous ! Après une demande de renouvellement votre silence peut vous mener....très loin....

Cass. 3è. civ., 1er février 2018,  n° 16-29.054 FS-D, 
Sté la Panetière Pyrénéenne c/ Sté rue du 8 Mai



Textes appliqués

L. 145-10 du code de commerce modifié par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 art. 207 :

"A défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, soit, le cas échéant, à tout moment au cours de sa prolongation.
La demande en renouvellement doit être notifiée au bailleur par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception . Sauf stipulations ou notifications contraires de la part de celui-ci, elle peut, aussi bien qu'à lui-même, lui être valablement adressée en la personne du gérant, lequel est réputé avoir qualité pour la recevoir. S'il y a plusieurs propriétaires, la demande adressée à l'un d'eux vaut, sauf stipulations ou notifications contraires, à l'égard de tous.
Elle doit, à peine de nullité, reproduire les termes de l'alinéa ci-dessous.
Dans les trois mois de la notification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.
L'acte extrajudiciaire notifiant le refus de renouvellement doit, à peine de nullité, indiquer que le locataire qui entend, soit contester le refus de renouvellement, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date à laquelle est signifié le refus de renouvellement."

+  l'article 1184 anc. du code civil devenu l'article 1224, concernant la résolution judiciaire.

Dans cette affaire la locataire forme une demande renouvellement de son bail. La bailleresse n'y répond pas et trois mois s'écoulent. Cependant, avant que les trois mois ne s'écoulent, la bailleresse aura envoyé à sa locataire un commandement d'avoir à faire cesser des travaux, considérant qu'ils l'étaient en infraction avec le contenu du bail. Postérieurement aux trois mois, deux autres commandements sont délivrés et la locataire saisit la justice pour voir prononcer la nullité du dernier commandement et reconventionnellement, la bailleresse sollicite la résiliation du bail.

Pour la Cour d'appel, le bail doit être résilié, peu important le silence de la bailleresse durant trois mois à propos du renouvellement, les manquements n'ayant pas été acceptés pour autant par ladite bailleresse (travaux réalisés sans autorisation de cette dernière).

La Cour de cassation, sévère avec la bailleresse, estime quant à Elle, que les manquements ayant été connus AVANT l'expiration du délai de trois mois, donc antérieurement au renouvellement, SANS QUE la bailleresse ne s'oppose au renouvellement comme l'y invitait l'article L.145.10 du code de commerce, le bail s'en est trouvé renouvelé...

L'alinéa 3 de cet article est clair :

"Dans les trois mois de la notification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent."

Sévérité ? Après tout, non. La gravité de la faute pour légitimer un refus est un critère important (cf. L.145-17 du code de commerce, art. 1184 du code civil...). C'est pourquoi, le refus explicite du bailleur - susceptible d'être contrôlée par les tribunaux- est fondamental et il ne peut se contenter d'envoyer un commandement non conforme à l'article L 147-17 du code de commerce en ne formulant avant l'expiration du délai de trois mois aucun risque de refus de renouvellement. Quand le statut donne un mode d'emploi, il vaut mieux le connaître et le suivre.